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Le fait capital fut ma visite au Palais du vice-roi. Si Li-Hung-Chang était un grand homme d’État, son successeur n’est pas indigne de prendre sa suite. Yuan-tsi-Khai est, avec Chan-chi-Tung, l’homme le plus en vue de la Chine actuelle. Doués très différemment par la nature, ils sont tous les deux également ardens à tirer la Chine de son sommeil. Les voies et moyens par lesquels ils espèrent y réussir ne sont pas identiques, quoique le but soit le même. Chan-chi-Tung est un homme de dispositions pacifiques, un fervent adepte de la doctrine de Confucius ; il est fermement attaché aux principes de la morale nationale ; il n’est réformateur que dans les entreprises purement commerciales et industrielles, les transactions financières et le système d’administration. Dans sa propre province, il a fait beaucoup d’essais heureux en ce genre. Il a établi des factoreries, une vaste filature de coton, des forges, des chemins de fer locaux, construit un important arsenal sur le Yang-tse, etc. Ses adversaires, et il en a un grand nombre, comme quiconque s’élève au-dessus du niveau commun, l’accusent d’être un idéaliste. Mais, après tout, ce sont précisément ses idées, mises à exécution par des mains pratiques, qui pourraient être du plus grand secours à son pays. C’est un profond penseur, un homme du plus intéressant esprit, et ses écrits sur différentes questions politiques ou sociales sont de beaux échantillons de la pensée humaine.

Yuan-tsi-Khai est un homme d’action, un soldat par tempérament, qui aime à combattre ses ennemis et à pousser ses projets sans considérer les difficultés de la route.

Mon séjour à Tien-tsin fut de grande utilité pour m’éclairer sur la situation actuelle de la Chine. J’y fis la connaissance de nombre de gens intéressans, dont quelques-uns sont les ouvriers de l’histoire présente. Ils n’avaient ni la même nationalité, ni les mêmes occupations, ni le même genre d’esprit ; leurs opinions différaient encore davantage. Mais c’est en partie à l’antagonisme de leurs vues que je dus d’en pouvoir tirer quelques conclusions provisoires.

C’est par un brillant après-midi du bref été de la Saint-Martin que j’accomplis les derniers quatre-vingts milles de ma longue course en chemin de fer à travers les deux continens. À mesure que j’approchais davantage de ma destination finale, Pékin, et tandis que nous roulions par ce pays plat et aride, je pouvais à peine me représenter l’immensité de la distance que j’avais