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La lune brille maintenant de tout son éclat, mais ne montre rien de nouveau en dedans des murs. Dans la grande rue de Séoul, la boue est aussi épaisse qu’elle doit l’avoir été à la création, quand « la terre et les eaux étaient rassemblées. » Les maisons ne sont que les huttes d’argile de l’homme préhistorique, son abri contre le froid ou la chaleur.

Je demande à mes porteurs d’aller lentement, car je ne veux rien perdre de ma première impression. La première image d’un pays ignoré se grave dans notre esprit d’une façon unique. Il y a une fascination de l’inconnu, un merveilleux intérêt attaché à l’imprévu. Errer parmi des gens étranges, dans les rues d’étranges cités, c’est un plaisir inexprimable. Tout ce qui est singulier est mystérieux jusqu’à ce que la réalité tire le voile. Tant que notre imagination a loisir de jouer librement parmi nos créations fantastiques, nous restons dans la cité des songes.

Les rues maintenant deviennent plus larges et les huttes d’argile plus insignifiantes encore. Je m’arrête un moment à la grande place. Ce doit être le centre de la ville ; mais elle n’est guère plus qu’un carrefour de routes conduisant à quelques rues latérales. Il est à peine sept heures ; pourtant un silence de mort plane sur toutes choses, la paix et un calme infinis. Les larges rues sont comme un immense cimetière et les petites maisons aux toits plats ressemblent à des tombes. On pourrait se croire un jour de Toussaint, car sur chaque tombe une petite lampe brûle : une lanterne pend de chaque portail et donne une flamme jaune. Et les gens eux-mêmes ! Comme des fantômes, ils retournent à leurs demeures, tout vêtus de blanc et muets. Silencieusement, ils glissent le long des sentiers de l’interminable cimetière, jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans les profondeurs d’une des tombes illuminées.

Jamais aucun lieu ne m’a impressionné comme cette première vision de Séoul. À cette heure où la ville m’apparaissait dans la clarté d’une lune de novembre, sombre, silencieuse, désolée et fantomatique, elle ressemblait plus à une ville de féerie qu’à une réalité, presque comme ces lieux de la fable, chantés par les poètes de tous pays, dont l’histoire est recueillie, avec ravissement des lèvres des nourrices par le petit monde qui ne connaît point encore l’envers de la vie…

Le lendemain, je m’éveillai au son de la trompette et du tambour. Qui donc soufflait et battait ? Les fantômes ? Que pou-