Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

murale. Dans le mouvement constant qui a réduit la tombe, depuis la pyramide, à n’être qu’une simple dalle de pierre ou de métal, il y a eu assurément des périodes de réaction, et tout le XVIIIe siècle a tenté de relever l’orgueil du sarcophage et même de ressusciter la pyramide ancienne en un chétif et indigent trompe-l’œil. Mais ces arrêts ou ces réactions ne peuvent changer la courbe tracée par cet art en son évolution principale. Elle est très visible, si l’on envisage les chefs-d’œuvre de chaque époque. L’architecture qui fut, d’abord, presque toute la beauté funéraire, en est devenue peu à peu un élément secondaire et a fini par disparaître entièrement de l’ « Esthétique des tombeaux. »


II

La figure humaine, au contraire, n’a pas cessé d’y grandir. Dans le sarcophage égyptien, elle était fort peu de chose. Le basalte noir ou le granit rose résistaient à, la pointe de l’artiste. A peine pouvait-il détacher le corps du roi, ou du scribe, de sa lourde gangue polie. Cette difficulté gardait à la figure du mort un aspect monumental, pesant, qui nous touche encore aujourd’hui plus que bien des virtuosités de nos dentelliers du marbre, détaillant une toilette avec le bavardage insupportable d’une modiste. Pour retrouver cet aspect de sommeil au sein de la matière, de corps attaché à la terre, indéracinable, il faudra, de la part du sculpteur moderne, une expresse volonté, peut-être même un ingénieux parti pris. Au contraire, dans ces temps héroïques de la grande sculpture, mal servie par des instrumens imparfaits, il suffisait qu’on ne pût pas faire autrement. La dureté de la matière employée enchaînait le « lapicide » à sa grandeur. Mais dès que le sculpteur, mieux armé ou pétrissant une plus docile matière, put lui faire exprimer toutes les nuances de la myologie, la figure du mort devint une œuvre maîtresse. Et bien plus encore que la forme générale du tombeau où il repose, cette figure du mort a changé.

L’antiquité tout entière l’a représenté vivant, ordinairement entouré de ses proches, tel qu’on aimait à se le représenter, tel qu’il l’eût aimé lui-même, s’il avait préparé son tombeau. Depuis les premières stèles grecques jusqu’aux sarcophages chrétiens de Sant’ Appollinare in Classe, ou de la Gayolle, ce que l’artiste nous montre dans le héros de son monument, c’est la vie. Ce n’est