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pas une vie ardente, agissante, expansive, celle du combattant ou de l’orateur, il est vrai, mais l’art antique est celui qui figure la nature la plus calme et qui se dépense le moins en gestes. Il n’est pas étonnant qu’il en ait donné très peu aux morts. Une poignée de main, c’est tout ce qu’il leur permet, d’ordinaire, ou bien l’ouverture d’une cassette et le déroulement d’un collier de perles. C’est ce que vous trouverez sur toute la paroi Est de la salle grecque au Louvre, où les exemplaires de cet art sont médiocres, mais représentatifs. C’est tout ce qu’il y a dans la stèle fameuse d’Hégéso. Hégéso, fille de Proxénos, est assise, un peu lasse, sur une chaise aux pieds courbes : devant elle, debout, se tient une petite esclave qui lui met sous les mains un coffret ouvert. De ce coffret, la morte a tiré quelque chose que nous ne voyons pas. Cela était peint autrefois sur la pierre et s’est effacé. Mais son geste est si juste et sa tête penchée si attentive que l’artiste n’avait nul besoin, pour nous le montrer, de figurer un collier de perles. Cela semble, déjà, un geste d’âme, maniant une parure invisible, mais si présente, comme l’ombre même de la morte, que chacun de nous, sur la pierre, saurait en tracer le contour.

Cette Hégéso est bien vivante, mais d’une vie si sereine et si calme qu’elle semble soustraite à toutes les agitations de la nôtre. On n’imagine pas qu’elle parle. On n’imagine pas qu’elle entende. A peine si l’on s’imagine qu’elle voit. Toute son âme semble s’être réfugiée dans ses mains, au bout de ses doigts, autour de cette parure dont nous n’apercevons pas le plus léger vestige, mais qui représente, pour elle, de la vie qu’elle a vécue, de la terre et des mers qu’elle a connues et des îles qui s’étendent à l’horizon, et des amies demeurées là-haut sur la terre, tout un monde ou une série de mondes minuscules reflétés dans cet invisible orient…

Un peu plus actives sont les scènes où la personne disparue, toujours assise, prend la main de son fils ou de sa fille, de son mari ou de sa femme, debout devant elle et presque triste. C’est une réunion de famille, la dernière peut-être, ou bien c’est l’indice de la présence perpétuelle, au milieu des siens, quoique invisible, de l’être disparu. En donnant la main à celle qui vit encore, la personne morte semble toujours vouloir la retenir, l’attirer vers elle, et la personne vivante a toujours l’air près de partir. La scène se passe-t-elle donc au royaume des ombres ? Le fond nu et irréel ne dit rien. Tous les doutes parlent. Les