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savans, qui cherchent de la logique dans ce qu’il y a de moins logique au monde : les sentimens de l’homme en face de la mort d’un être aimé, se désespèrent de ne pas trouver à ce geste d’explication rationnelle. Mais l’ignorant laisse opérer en lui le charme. Devant les stèles de Tito, d’Asia, d’Eutemia, de Mynno, de Mika et Dion, de Korallion, la pâleur du marbre, la douceur du relief, çà et là fondu et à peine exhalé sur la pierre, la lenteur des mouvemens, imaginés par l’artiste pour cette vie sans hâte, donnent à ces visions l’apparence des choses qu’on voit en rêve. C’est bien ainsi que l’imagination, dans ses plus folles entreprises, aime à se figurer le retour que la raison sait impossible et la réunion que le souvenir seul peut réaliser. C’est ainsi qu’elle se figure la bienvenue souhaitée à qui ne reviendra pas, l’étreinte entre deux êtres que l’infini sépare. Elle n’ambitionne pas grand-chose : une illusion, une réunion même imparfaite lui suffit. Elle se représente à peine le profil de l’absent : pas une parole, un glissement seulement, un bruit de feuille morte poussée par le vent, la porte ouverte, l’altitude prise sur le siège accoutumé, un regard, le geste de la tête, du cou, de la main, le geste que faisait seul l’être aimé et que personne, depuis lui, parmi tant de millions d’êtres humains qu’on dit « nos semblables, » ne fait plus !

Dans l’art gréco-romain, la figure du mort se réduit à peu de chose : un médaillon, rond d’ordinaire comme un bouclier, au milieu des scènes de chasses ou de combats ou de fêtes, qui décorent le sarcophage. Mais là, encore, le mort est vivant et ce n’est pas le christianisme qui change rien aux formules adoptées. D’ailleurs, à ses débuts, il s’occupe peu de la tombe. Le christianisme, malgré les retours sournois du vieux culte familial, est bien toujours la religion qui est sortie d’un tombeau vide, — et parce qu’il était vide. Le chrétien, pour revivre, n’a pas besoin de tombeau. Sans maison, sans esclaves, sans nourriture, sans sacrifices, il poursuit sa carrière glorieuse, lumineuse, infinie. Ni la survivance des enfans, ni leur assiduité aux sacrifices n’en sont les conditions nécessaires. Il y a bien encore, dans les cérémonies pour le « repos de l’âme, » un ressouvenir des traditions païennes, mais c’est un souvenir affaibli, sans rien d’absolu, ni d’impératif. Les portes du ciel s’ouvrent à la plus dénuée, à la plus solitaire, à la plus abandonnée des âmes errantes. Un jour viendra où tous ces tombeaux, comme celui