Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du squelette, la grimace et le rictus de la bouche ? Où est l’appareil du jugement, les ministres de la vengeance, la vision des tourmens éternels ? Sans doute, on verra un jour toutes ces choses sur les tombeaux, mais ce ne sera pas au moyen âge. Ce sera au XVIe siècle, précisément lorsque auront disparu les ferveurs de la foi chrétienne, et que l’art devenu savant aura parachevé sa « Renaissance. » Le moyen âge n’a pas envisagé la mort moins simplement ni moins joyeusement que l’antiquité. Lorsqu’on dit que l’art antique a montré la mort heureuse, on joue sur les mots. L’art funéraire antique n’a représenté la mort, ni heureuse, ni malheureuse ; il n’a pas montré du tout la mort. Sur ses tombes, sur ses stèles, sur ses sarcophages, il a figuré la vie. Et quand, par hasard, il a figuré la mort, comme dans certains tombeaux étrusques, ou vases cinéraires d’albâtre, il ne l’a faite ni douce, ni riante, mais angoissée, mais terrible, compliquée de démons et de « charuns » diaboliques. Un seul art a figuré sur son tombeau le mort sommeillant, rêvant, calme et plein d’espoir : c’est l’art gothique.

A mesure qu’on avance dans la Renaissance, le gisant se relève de sa couche, s’accoude sur un bras, et commence à regarder autour de lui. Ce mouvement est très frappant, quand on considère, l’un après l’autre, les tombeaux des papes. Grégoire X dans la cathédrale d’Arezzo, Benoît XI à Saint-Dominique de Pérouse, Jean XXIII au Baptistère de Florence, Martin V au Latran, et jusqu’à Sixte IV à l’Église de Saint-Pierre, sont encore couchés, les mains sur leur poitrine, la tiare en tête posée sur un coussin. A peine le XVIe siècle a-t-il commencé, que le pape Jules II, à Saint-Pierre aux Liens, sort de cette attitude où les Jean de Pise, les Rossellino, les Pollaiuolo avaient immobilisé ses prédécesseurs. Il s’accoude et se tourne vers le spectateur. Après lui, tous les Papes se redressent et trônent sur leurs tombeaux. Les mains de Paul III, de saint Pie V à Sainte-Marie Majeure, d’Urbain VIII, de Clément XIV, se lèvent pour bénir et peut-être pour menacer. D’autres, comme Sixte V, s’agenouillent et prient. Tous vivent et règnent sur leurs tombes, jusqu’à ce que, de nos jours, Pie IX se recouche et disparaisse dans un simple sarcophage renouvelé des premiers tombeaux chrétiens de Ravenne, sous les palmiers et le Bon Pasteur symboliques.

Cette évolution de la statue funéraire, si visible sur les