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tombeaux des Papes, on la retrouve dans les tombes profanes les plus humbles. Sans aller ni à Florence, ni à Rome, on peut saisir l’antithèse, soit au Louvre, dans les salles du rez-de-chaussée, au bord de la Seine, soit au musée des moulages du Trocadéro. Là, on aperçoit, côte à côte, deux monumens dont les originaux se trouvent, ensemble, dans la cathédrale du Mans. L’un, le tombeau de Charles IV d’Anjou, comte du Maine, est de la fin du XVe siècle, l’autre, celui de Guillaume du Bellay, du milieu du XVIe. Ce sont deux hommes de guerre. Il ne s’est pas écoulé un siècle entre le jour où Laurana sculpta le premier et où l’émule inconnu de Jean Cousin ou de Jean Goujon « eslaboura » le marbre de l’autre. Mais un monde nouveau est sorti des profondeurs silencieuses du moyen âge. Le soldat a dépouillé la cotte de mailles, les jambières, l’appareil utile du combat. Son armure n’est qu’une parure éclectique, renouvelée des Romains, choisie pour sa beauté. Ses mains ne reposent plus paisiblement dans l’attente ou pour la prière : elles s’occupent. Sous chacune d’elles il y a un livre, tout autour du mort sont des livres épars, une bibliothèque. Et il nous regarde bien éveillé, en pleine activité, triomphant, sans rien évoquer de l’inconnu que nous sentons, à côté, en Charles d’Anjou, dans le silence fermé de sa bouche et le mystérieux sourire de son casque.

Le même contraste se voit au Louvre, après qu’on a passé dans les salles basses où s’allongent les statues funéraires de Philippe Pot, de Blanche de Champagne ou de Philippe de Morvilliers, et qu’on débuche dans les hautes salles largement éclairées où se redressent les figures d’Albert Pie prince de Carpi, de l’amiral de Chabot, de Charles de Maigny, de René de Birague et de Valentine Balbiani. Tous ces hommes ou ces femmes de la Renaissance se sont relevés sur la couche où dormaient leurs pères. Ils lisent : un passage du poète ou du philosophe a donné des ailes à leur pensée. Ils ont relevé la tête, le livre a glissé au bout de leurs doigts, et ils regardent au loin, insensibles au petit king’s charles qui se dresse et veut sauter sur leurs genoux. Rien de plus noble que ce repos du prince de Carpi : un bras replié vers la tête, vers le siège de la pensée, tous les autres membres accusant la force et la souplesse inactives. Mais rien n’est moins semblable au « gisant » gothique. Le dormeur, jadis, confiant dans son sommeil s’est mis à méditer, en même temps que ses mains abandonnaient l’attitude de la prière. Le « gisant »