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humains. Et il a fallu un sacrilège pour que nous puissions jouir de sa beauté.

Mais l’idée qui inspira le coroplaste grec domine l’antiquité tout entière, sur tous les bords de la Méditerranée, dans toutes les îles, païenne ou chrétienne, à demi barbare ou décadente : mettre autour du mort, sur son tombeau, la vie familière, la vie accoutumée. Rien de surnaturel. Pas plus dans l’art chrétien que dans l’art païen, vous ne trouverez de scènes comme Dante en imaginera et qui nous ravissent dans un autre monde. S’il y a un ange, il est sans ailes, tout à fait semblable à un autre jeune homme. S’il y a un génie, tenant un cartouche, c’est un pur motif décoratif. Sans doute, les dieux y paraissent, mais dans leurs besognes terrestres ! Apollon luttant avec Marsyas ou Bacchus traîné en triomphe sont des personnages de la plus naturelle humanité. Sans doute, le Christ fait des miracles, mais en pleine vie coutumière, au milieu des pains, des poissons et des jarres, sous les arbres où perchent des colombes. On peut en voir d’excellens exemples dans les moulages réunis par M. Salomon Reinach au musée de Saint-Germain. Il ne s’agit ni de ce qui se passe dans le royaume souterrain des morts, ni de ce qui se passe au ciel. On reste, même avec l’art chrétien, sur la terre et l’on y pose les deux pieds.

Sur cette terre, le cortège change, cependant, à mesure que passent les siècles. D’abord, ce sont les parens qui le forment ou les serviteurs, penchés sur l’être qui n’est plus, lui tendant le coffret aux bijoux, ou un oiseau, ou son enfant nouveau-né. Sur les stèles attiques, le mort est presque toujours entouré de sa famille. Agathon se tient, debout, auprès de sa femme Korallion, Dion auprès de Mika. La fille de Phrasikléia se jette dans les bras de sa mère. La suivante, dans la stèle funéraire qui est à La Haye, tend l’enfant à la morte et l’enfant lui tend les bras. Toutes ces figures de jeunes femmes à peine profilées sur le pentélique, telles qu’on s’imagine l’animula blandula, vagula que chante l’Empereur-poète, sont entourées de leurs proches. Bien peu tiennent, solitaires, le coffret, le miroir ou le fuseau.

Puis, autour du sarcophage ce sont des foules qui surviennent, se livrant, tout autour du mort, à toutes les besognes de la vie : les amours grimpent aux échelles pour vendanger, foulent le raisin dans la cuve, portent des guirlandes, montent dans la voiture aux chèvres. Des chasseurs accourent, des barbares, des