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l’artiste grec, ou gréco-romain, ou étrusque, figure la vie active et une compagnie, une « mesnie » purement naturelle.

Au moyen âge, tout change : ce qu’il y a, autour du gisant, c’est une vie contemplative et une compagnie surnaturelle. Les anges descendent du ciel pour veiller sur la statue. Dieu tout-puissant paraît au-dessus de sa tête. Les saints s’étagent ou s’alignent, non plus dans les besognes de la vie, mais dans les attitudes du triomphe et du repos. Rappelez-vous la vision qui domine, à San Zanipolo, de Venise, les doges Michèle Morosini et Mocenigo, ce dernier par Niccolo et Giovanni di Martino, tous deux du XVe siècle, ou bien encore celle du cardinal de Braye par Arnolfo di Cambio, à l’église de Saint-Dominique à Orvieto. Les poètes ont déploré que le moyen âge ait ramené la pensée sur les choses de la mort et que la foi chrétienne, mêlant la terreur à l’espoir,


Ait mis l’Éternité douteuse au fond des tombes…


Mais les poètes chercheraient vainement cette image sous le ciseau des Maîtres de la sculpture funéraire. C’est peut-être dans les livres, que la foi du moyen âge a mêlé la terreur à l’espoir : ce n’est assurément pas sur les tombes. Jamais époque ne fut plus familière avec la mort. Comme l’a très bien montré M. Enlart, les « aîtres » ou les cimetières étaient des lieux d’« esbattemens » et les gens qui, de nos jours, sont surpris qu’il y ait des vignobles sur les toits de Paris, le seraient bien davantage d’entendre parler du vin récolté parmi les tombes, comme jadis, à Saint-Urbain de Troyes au XIVe siècle ou des noix venues du cimetière de la cathédrale de Noyon… Sans doute, il y a un Jugement dernier sur la façade du dôme d’Orviéto, mais il y a de tout sur ce dôme : la Genèse, la création de l’Homme et ces deux anges délicieux qui glissent dans l’air, les ailes toutes droites, comme des cygnes sur l’eau et la Nativité de l’Enfant-Jésus… Sans doute, il y a, sur les murs du Campo-Santo de Pise, la rencontre des « trois morts et des trois vifs, » mais il y a la vendange, mais il y a le raisin qu’on foule dans la cuve, il y a la musique jouée dans le jardin enchanté : il y a tout le cycle des prodiges bibliques ou des réalités contemporaines. Quoi d’étonnant si, dans ce cycle, où tout est figuré de la vie, il se soit glissé quelque chose aussi de la mort ? Sans doute, enfin, il y a, au tympan de nos vieilles églises, des batailles de démons et d’anges, des marmites de damnés, « des pesées