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Telle était la dangereuse sirène dont, en entrant dans la maison militaire du Comte de Provence, le jeune officier qu’était alors d’Avaray, se vit subitement rapproché. Traité en même temps avec distinction par la Reine, il se trouva dans une situation fort délicate pour un jeune homme qui devait croire qu’il fallait opter entre la faveur de la Reine et de la Cour et celle de Monsieur et de la comtesse de Balbi. Mais il était habile, plein de délicatesse et de droiture. Il manœuvra si loyalement que, sans rien perdre de la bienveillance royale, il gagna celle de Monsieur et de sa favorite. Marie-Antoinette continua à le traiter avec bonté et Mme de Balbi, sensible à sa conduite et flattée de ses soins, ne lui montra plus que des égards.

« Les années s’étaient écoulées ainsi. Une plus grande habitude de se voir, des amis communs, point d’exigences d’un côté, beaucoup d’attentions de l’autre, des goûts fort différens mais jamais en opposition, un centre de réunion dont mon caractère connu m’obtenait l’approche sans causer le moindre ombrage, tout enfin concourait à resserrer le lien possible entre deux personnes qui ne se conviennent pas. Mme de Balbi, d’ailleurs fatiguée sans cesse de soins intéressés, de sollicitations importunes, regardait sans doute comme un repos la société d’un homme qui n’avait jamais rien à lui demander, et un défaut même de son caractère, que d’autres circonstances auraient rendu incompatible avec le sien, lui offrait peut-être un attrait de plus.

« Extrêmement violente et emportée, accoutumée à voir tout céder autour d’elle, Mme de Balbi n’était pas fâchée de trouver quelquefois la résistance même opiniâtre que je lui montrais sur la moindre proposition qu’elle voulait emporter d’autorité. Mais, si, dans une position qui ne rend pas redoutable, on peut, par la résistance même, conquérir l’estime de la personne qu’on combat, il est probable qu’on s’attirera sa haine le jour où elle croira vous trouver le plus petit moyen de rivalité. C’est ce que l’expérience m’a trop bien démontré depuis. »

La haine aux suites de laquelle d’Avaray, dans ce piquant récit, prépare son lecteur ne devait éclater que dix ans plus tard. Dans ce jeune homme que le Comte de Provence accueillait toujours avec bonté et à qui il accordait de plus en plus son estime, Mme de Balbi ne voyait encore qu’un attentif, dont les hommages la flattaient, et, loin de supposer qu’il pût jamais devenir redoutable, — ni lui ravir tout ou partie de l’influence qu’elle