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Et il le nomme capitaine de ses gardes, fonction, hélas ! purement nominale, mais qui du moins donne une raison d’être à la présence de d’Avaray dans sa petite cour. Bientôt, à ce témoignage de ses sentimens, il en ajoutera d’autres. Il décidera que désormais les armes des d’Avaray seront chargées de l’écusson de France « aux trois fleurs de lys pleines avec cette devise : Vicit iter durum Pietas ; » il la fera graver sur un sceau en argent que Louis XVI a toujours porté attaché à sa montre. En offrant ce souvenir à son ami, il entourera les lys de ces paroles solennelles :

« Cette empreinte est celle du cachet du Roi mon frère dont ses assassins ont donné la description et que, du fond de la Tour du Temple, la Reine trouva le moyen de me faire parvenir[1]. Je conserve avec respect et sans en faire usage cette sainte dépouille. Mais, aujourd’hui, j’ai voulu qu’elle mît le sceau à cet acte de ma reconnaissance. — Louis. »

Plus tard enfin, d’Avaray sera fait duc et, en 1814, son père, qui lui a survécu, recueillera ce titre dont l’exil et sa mort prématurée l’ont empêché de se parer lui-même.

Au moment où ces extraordinaires faveurs, d’ailleurs légitimées par de nouveaux services, pleuvaient sur d’Avaray, Mme de Balbi était, comme on va le voir, définitivement disgraciée et ne pouvait plus rien pour les ralentir. Mais elle les avait vues commencer et s’en était offensée. Encore toute-puissante, elle faisait les beaux jours de Coblentz. Monsieur avait promptement repris ses habitudes chez elle, comme le Comte d’Artois chez la comtesse de Polastron et, forte de ces assiduités qui amenaient dans son salon la fine fleur de la société des émigrés, sa haine était redoutable. Ici encore, il faut laisser la parole à d’Avaray :

« Guidé par un sentiment de justice, et l’on peut dire de courage, Monsieur avait voulu peu après son arrivée écrire une relation de sa fuite de Paris. En la dédiant à son libérateur auquel il prodiguait les témoignages de la plus vive reconnaissance, il avait eu grand soin de saisir mille occasions d’amener quelques traits sensibles ou flatteurs pour son amie. Il avait poussé la délicatesse jusqu’à l’associer, pour ainsi dire, à mon

  1. « Lorsque je reçus ce dépôt sacré et le billet qui l’accompagnait, je courus chez mon ami. A peine étais-je entré dans sa chambre et avant que j’eusse ouvert la bouche : « Vous avez eu, me dit-il, des nouvelles du Temple. » — Annulation autographe du Roi sur le manuscrit de d’Avaray.