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À ces causes de mécontentement, lorsque se joignirent des encouragemens venus de l’extérieur et l’action énergique de la franc-maçonnerie, l’insurrection se déchaîna.

Quand arriva l’heure de la guerre, le vice capital du régime des Philippines, l’excessive centralisation, produisit ses conséquences naturelles : une seule bataille, en frappant à la tête la domination espagnole, l’anéantit d’un coup. La flotte détruite et Manille tombée, c’en fut fini de la résistance ; l’archipel changea de maîtres. La victoire surprit les Américains ; en donnant à l’amiral Dewey l’ordre de pénétrer dans la baie de Cavité, ils n’avaient pensé qu’à frapper un coup sur l’ennemi ; ils n’avaient pas prévu s’ils anéantiraient seulement la puissance espagnole aux Philippines ou s’ils y organiseraient une colonie américaine ; ce furent les circonstances qui, jusqu’au traité de Paris (12 août 1898), improvisèrent les solutions ; de là vinrent, dans les rapports des Américains avec les indigènes, les hésitations et les contradictions des premiers jours. Tant qu’il ne s’agissait que de venir à bout des Espagnols, les insurgés pouvaient apporter aux forces américaines un appoint décisif ; aussi l’amiral Dewey, après la bataille de Cavité, envoya-t-il un bâtiment à Hong-Kong pour en ramener Aguinaldo, qui débarqua le 19 mai 1898 et appela aux armes ses anciens compagnons. L’amiral mit à leur disposition des fusils, deux canons de campagne et profita de leur appui pour obliger la garnison espagnole à capituler. Avait-il formellement promis aux chefs philippins l’indépendance, il l’a nié, il a même affirmé qu’il ne les avait jamais considérés comme des alliés, et il convient de l’en croire ; mais il est certain qu’Aguinaldo et ses partisans eurent le droit d’espérer que, la domination espagnole écroulée, la seule solution possible serait l’avènement d’une république philippine sous la lointaine protection des Etats-Unis. Les Américains avaient entrepris la guerre dans l’intérêt de cette liberté des peuples dont le nom des Etats-Unis apparaissait comme le vivant symbole ; comment les Philippins auraient-ils cru que la lutte pourrait n’aboutir qu’à substituer à la domination espagnole la domination yankee ? On sait d’ailleurs qu’en signant le traité de Paris, les plénipotentiaires espagnols ne pensaient pas avoir accepté un texte qui donnât aux Américains un droit complet de souveraineté sur les Philippines. Il y eut, quelques semaines après, l’échange des signatures, sur le sens qu’il fallait donner,