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Dans une pareille guerre, avec des troupes composées surtout de volontaires, il était inévitable que des atrocités fussent commises. Quand ils le purent, les Américains eurent le courage de dénoncer eux-mêmes et de réprimer les actes de cruauté commis par des officiers ou des soldats ; mais une sévère répression n’était pas toujours possible : deux officiers qui, pour obliger deux indigènes à révéler une cachette d’armes, avaient fait le simulacre de les pendre et avaient poussé le jeu si loin que les malheureux, à demi asphyxiés, manquèrent d’en mourir, ne furent condamnés qu’à une réprimande. En 1902, le général Smith, le capitaine Glenn, le lieutenant Conger et le chirurgien Legons, traduits devant la justice militaire à cause des exécutions de l’île Samar, furent acquittés ; mais l’enquête générale, faite à ce propos par le conseil de guerre de Manille, révéla le caractère atroce de la répression. D’ailleurs, comme le laisse entendre M. Taft, dans son discours du 17 décembre, « l’Anglo-Saxon n’est pas renommé pour sa courtoisie ni pour sa considération pour les races qu’il juge inférieures à la sienne. » Pour les soldats américains, les indigènes des Philippines n’étaient que des nègres révoltés, envers qui ils retrouvaient leur haine de race et ne se croyaient tenus à aucun ménagement. Au reste, comment une telle guerre, sous un pareil climat, et dans de pareilles conditions, n’aurait-elle pas entraîné les pires excès ? Nulle part les insurgés ne se montraient disposés à lutter en rase campagne ; mais, rapides et insaisissables, ils s’évanouissaient chaque fois qu’on envoyait contre eux des forces supérieures et reparaissaient dès que les Américains s’étaient transportés dans un autre district ; les hommes qui tenaient la campagne étaient de connivence avec les riches Tagals restés dans les villes, qui les renseignaient et leur faisaient passer des subsides, des armes, des munitions ; toute une organisation occulte couvrait le pays d’un invisible réseau de sociétés secrètes, dont les mots d’ordre étaient aveuglément obéis. Aguinaldo et ses amis tenaient les fils de la conjuration et correspondaient avec les juntes insurrectionnelles de Hong-Kong, de Madrid et de Paris ; il est probable qu’en outre les insurgés recevaient des encouragemens d’une puissance, voisine de l’archipel, et qui ne voyait pas sans quelque dépit s’établir dans l’Extrême-Asie une domination américaine. Le général Otis eut, à la fin de 1899, jusqu’à 70 000 hommes sous ses ordres ; malgré ce grand effort,