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la pacification n’avançait que très lentement ; ce fut seulement après qu’Aguinaldo, trahi par l’un des siens, eut été capturé le 23 mars 1901, que l’insurrection, privée de son chef, alla peu à peu en s’apaisant ; les guérillas organisées disparurent une à une, les armes furent saisies, et les Américains n’eurent plus en face d’eux que des bandes qui se livraient au brigandage plutôt qu’elles ne faisaient la guerre.

Le dernier rapport de M. Taft nous donne d’intéressans détails sur les procédés employés par son gouvernement pour venir à bout des dernières querelles et assurer dans Luçon une sécurité et un ordre relatifs. Sans doute, il reste encore beaucoup à faire, mais quand l’ordre et la sécurité ont-ils jamais régné aux Philippines ? « Il n’y avait jamais eu moins de brigandage qu’au moment où j’écris (décembre 1903), » lit-on dans le rapport du gouverneur civil. Les provinces de Rizal[1] et de Bulacan étaient infestées de bandes gênantes, protégées et averties par des personnes considérables de Manille, et commandées par San Miguel et son lieutenant Faustino Guillermo. San Miguel se donnait comme représentant de la junte républicaine de Hong-Kong ; il était en relations avec les anciens chefs philippins et recrutait, dans toute la lie de la population, des partisans si nombreux que les forces de la police provinciale étaient devenues insuffisantes, et qu’il fallut envoyer des troupes ; dans deux combats, les insurgés perdirent 60 tués et leur chef resta parmi les morts. Faustino Guillermo, capturé quelque temps après, était, au moment où M. Taft écrivait son rapport, sous le coup d’une condamnation capitale. La province d’Albay, la plus riche de l’île, était le théâtre de troubles graves où le banditisme s’alliait au fanatisme religieux. Felipe Salvador prêchait, au nom de la religion nationale, la guerre contre les Américains et, en même temps, se livrait au brigandage. En face de ce mal toujours renaissant, M. Taft explique qu’il dut renoncer à traiter les insurgés capturés comme des prisonniers de guerre ; son expérience l’avait amené à constater que, lorsqu’on acceptait des capitulations avec promesse d’immunité, on n’aboutissait à aucun résultat ; une fois passée la mauvaise saison, les insurgés, refaits et remis de leurs fatigues, reprenaient le fusil et revenaient à la vie d’aventures et de pillages. Au contraire, constate M. Taft, en traitant

  1. Les Philippins, avec l’autorisation des Américains, ont donné à une province le nom de Rizal, qui devient une sorte de héros national.