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En même temps, comme pour montrer l’égalité de sa justice, le gouverneur civil prenait des mesures sévères pour débarrasser l’archipel des aventuriers américains qui s’étaient abattus sur les Philippines comme sur une proie, et qui vivaient à Manille aux dépens des femmes indigènes ou par d’autres moyens inavouables. Deux acts, en définissant le délit de vagabondage, permirent de condamner ces individus à une amende n’excédant pas cent dollars et à un emprisonnement n’excédant pas un an et un jour ; et, par une disposition spéciale, les citoyens des Etats-Unis sont autorisés, au lieu de subir leur peine, à quitter les Philippines en s’engageant à n’y pas reparaître avant dix ans ; dans ce cas, ils sont gardés dans la prison de Bilibid, en attendant leur embarquement sur le premier paquebot à destination de San Francisco. Cette colonie, rejetant à la mère patrie les élémens impurs qu’elle en a reçus, c’est à coup sûr l’un des spectacles les plus curieux que nous donne l’administration américaine aux Philippines ; c’est en même temps la preuve que le programme « Les Philippines aux Philippins » n’est pas seulement une formule.

Découragés par toutes ces mesures qui dénotaient la ferme résolution de venir à bout de l’insurrection et, d’autre part, la volonté de gouverner pour le bien des indigènes, les anciens chefs rebelles, les membres de la junte républicaine de Hong-Kong, font peu à peu leur soumission ou finissent par se laisser prendre et déporter. Mabini, revenu de l’île de Guam, prêta le serment d’allégeance et, peu après, consulté par San Miguel sur le meilleur parti à prendre, il lui répondit par une curieuse lettre que la mort de San Miguel fit tomber entre les mains de M. Taft ; il expliquait à son ami que l’emploi des armes était désormais inutile et dangereux ; qu’il convenait d’y renoncer, et que le seul moyen de préparer l’indépendance était la paix. « Il faut suspendre la guerre pour que le peuple puisse se reposer et travailler à recouvrer ce qu’il a perdu ; il faut nous conformer à l’opinion de la majorité, tout en n’oubliant pas que nous n’avons pas obtenu encore ce que nous voulons… » M. Taft a publié cette lettre dans son rapport : elle est en effet une preuve de l’efficacité de sa politique.

Au cours de l’année dernière, deux des principaux membres de la junte de Hong-Kong, Apacible et Agoncillo, sont entrés en rapport avec le gouverneur ; ils ont protesté n’avoir jamais