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provoquées chez tous la blessure de mon frère. Chacun s’est plu à faire son éloge et l’on m’a montré le mémoire de proposition qui assurera très prochainement sa nomination au grade de colonel.

Le voilà à l’abri des dangers de la campagne, si sa blessure se guérit vite, comme je l’espère.

Avant de rentrer à mon camp, j’ai été donner des nouvelles du blessé aux généraux Mayran, Dulac, Bisson, Cœur et Brunet, qui attendaient impatiemment mon retour.

On parle beaucoup de grands projets ayant pour but principal d’isoler Sébastopol du camp russe qui occupe la plaine, en attaquant ce camp de trois ou quatre côtés à la fois. Si cette opération réussissait, la ville, privée de ses approvisionnemens de toute nature, serait forcée de capituler et nous ne courrions pas le risque de perdre quinze ou vingt mille hommes en donnant l’assaut. On fait arriver, dans ce but, toutes les troupes réunies à Constantinople ; une division de l’armée de siège s’est déjà embarquée pour s’emparer d’un des points d’opération. Voilà tout ce que je sais.

Nous ne demandons qu’à tomber sur les Russes : nos soldats sont enragés, le temps magnifique, l’état sanitaire satisfaisant, il faut marcher de l’avant.

Je vous recommande, mes amourines[1], de ne pas vous désoler ; les larmes gâteraient vos jolis visages ! Qui sait ! nous ne sommes peut-être pas si éloignés du bonheur : Dieu est miséricordieux, comme disent les Arabes ! Il me donne, en toutes choses, des témoignages si éclatans de sa bonté que je me livre à lui en toute assurance. Quelles actions de grâces je lui ai adressées, hier, avec mon pauvre frère, gisant blessé sous une simple toile, qui le garantit à peine du soleil et de la pluie ! Et pourtant, il se réjouissait d’en être quitte pour cette blessure sans gravité, après avoir vu tomber sous une grêle de projectiles ses bons camarades et ses meilleurs soldats ! Nous avons versé ensemble des larmes de reconnaissance, en implorant la protection divine pour les êtres adorés qui nous attendent, avec tant d’anxiété, à Uzès et à Saint-Lô.

Dans ces momens solennels, on a honte d’avoir pu oublier ses devoirs envers Dieu, par respect humain, par négligence,

  1. Sa femme et ses deux filles.