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deux jours, pour une trentaine de francs. Les œufs sont très communs, à 1 fr. 50 la douzaine. Le mouton de ces parages est détestable ; le bœuf passable quand ce n’est pas du taureau. Du lait, impossible de s’en procurer à quelque prix que ce soit ; c’est très fâcheux pour ceux qui, comme moi, aiment les plats sucrés. Les pommes de terre ne manquent pas ; on en distribue souvent aux troupes, ainsi que des oignons, mais les officiers ne participent pas à ces distributions ; ils ne se pourvoient de ces précieux tubercules qu’à des prix fort élevés.

En résumé, l’ordinaire est à peu près notre seule dépense essentielle ; mais il absorbe la plus grande partie de notre traitement. Les lieutenans et sous-lieutenans qui ne veulent pas s’enfoncer sont fort malheureux. On ne comprend pas pourquoi on fait aux officiers la retenue de l’indemnité de logement pour une tente où ils sont deux. En revanche, les généraux sont parfaitement traités : un général de brigade touche 2 000 francs par mois quand un colonel n’a que 560 francs et beaucoup de charges ; aussi serai-je ravi d’arriver aux étoiles, si le bon Dieu daigne me conserver la vie ; mais c’est bien chanceux !

Mon fils se prépare à sa première communion[1] ; je m’unis à toutes les intentions de ce cher enfant, au cœur d’or, en attendant que je puisse, après mon retour, lui donner l’exemple et remplir ce devoir de bon catholique comme un témoignage de ma reconnaissance envers Dieu. »


« 14 mai.

« Hier, dans l’après-midi, Mayran, mon vieil ami de quarante-cinq ans[2], est venu me demander des nouvelles de Victor. Il avait, le matin même, parlé chaudement de moi à Canrobert.

— Il vous appartient, lui a-t-il dit, à vous l’homme juste et bon par excellence, de réparer le tort des chefs qui l’ont laissé si longtemps dans un coupable abandon.

— Mon ami, lui a répondu Canrobert, il m’est impossible de prendre plus d’intérêt au colonel Hardy[3]. Je l’ai proposé

  1. Il la fit, le 10 juin, à Uzès, sans se douter que son père était mort, le 8, en pensant à lui.
  2. Ils avaient été camarades d’école à La Flèche et à Saint-Cyr (promotion de 1818-1820).
  3. Canrobert avait fait partie, à l’École de Saint-Cyr, de la compagnie dont Félix Hardy était le lieutenant instructeur.