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un peu plus tard, le ministère Combes tombera désormais dans le déshonneur : il est prudent de se distinguer de lui.

Nous avons dit que l’occasion n’aurait pas manqué de remettre en cause M. le ministre de la Guerre si les choses avaient suivi leur cours naturel ; mais M. Syveton a frappé, paraît-il, avec une telle force que le ministre en est encore malade. C’est la première fois, depuis qu’on en donne, que des gifles entraînent une incapacité de travail aussi prolongée. Il est bien vrai que M. le général André n’est pas tout jeune, mais les journaux ministériels exagèrent lorsqu’ils le traitent de « vieillard, » et lui-même ne doit pas en être flatté : aussi se demande-t-on, comme Talleyrand le faisait autrefois d’un diplomate qui, lui aussi, gardait la chambre, quel intérêt il a à être malade. Et on le trouve dans les interpellations qui le guettent. Il y en a une au sujet du commandant Cuignet qui ne paraît pas bien bonne pour lui ; mais il y en a une autre qui est franchement mauvaise. C’est celle qu’on ne manquerait pas sans doute de lui adresser, s’il était là, au sujet des quatre officiers que le Conseil de guerre de Paris vient d’acquitter à l’unanimité.

L’impression produite par les comptes rendus quotidiens de leur procès a été vive : elle l’aurait été bien davantage encore à une époque où l’opinion publique n’aurait pas été fatiguée et émoussée par tant d’autres émotions et scandales. Le colonel Rollin, les capitaines Mareschal et François, l’archiviste Dautriche ont été arrêtés, mis en prison pendant de longs mois, mis au secret pendant de longs jours, comme prévenus de détournement de fonds publics. On ne les accusait pas de les avoir affectés à leur usage personnel, c’est-à-dire volés, mais de s’en être servis pour acheter la déposition du témoin Czernuski au procès de Rennes. Jamais accusation n’avait été échafaudée sur une base aussi fragile. Mais pourquoi ne pas le dire, puisqu’on peut le faire sans réchauffer à nouveau des passions qui paraissent bien refroidies ? on cherchait, on voulait trouver à tout prix un fait nouveau pour reprendre l’affaire Dreyfus devant la Cour de cassation. Elle est déjà reprise, nous le savons bien ; on a déjà argué de trois ou quatre faits nouveaux, nous ne l’ignorons pas ; mais ces faits nouveaux sont un mirage qui s’évanouit dès qu’on en approche, et auxquels il a été jusqu’ici impossible de donner une substance juridique. Ah ! si on pouvait prouver qu’un témoin a été suborné, ce serait différent. Il est bien vrai que le témoignage en question a paru dès le premier moment si suspect qu’il n’a produit aucune impression sur le conseil de guerre ; mais c’est là une simple appréciation, et bien