Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/554

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les victoires de Louis XIV[1]. Puis, en cette même ville, ce furent les préliminaires de la paix la plus dure que connut jamais la France, l’exode de la Commune, l’Assemblée nationale, le procès de Bazaine, le vote de la Constitution de 1875, et nombre d’autres faits plus récens et déjà célèbres. Mais tous ces événemens, quelle qu’en fût l’importance, n’eurent sur le sol de l’ancienne cité royale qu’un occasionnel théâtre. Il n’y avait là rien de cette intime connexité qui avait uni Versailles et la monarchie, alors que la vie de la France avait son principe et sa fin dans cette chambre royale qui était le centre de l’État et vers laquelle tendaient, cherchant à s’en rapprocher sans cesse et assiégeant, jour et nuit, « ce lieu redoutable » de leurs espoirs et de leurs craintes, de leurs requêtes et de leurs prières, toutes les brigues et toutes les ambitions d’une Cour tout entière prosternée devant ce sanctum sanctorum, selon le mot de la Palatine, d’où sortaient non pas seulement, comme de l’antique temple de Janus, la paix ou la guerre, mais toutes les faveurs et toutes les disgrâces.

De 1682 à 1789, Versailles, c’est donc la royauté française et, à présent encore, dans ces vestiges d’autrefois, il y a, si l’on peut ainsi parler, comme un faisceau de souvenirs qui la montrent, l’expliquent, la font saisir, dans sa vie et dans sa vérité, à son apogée et à son déclin, au temps où ses sujets l’aiment et l’admirent, jusqu’à l’heure où s’enhardit la critique, où naît la désaffection, où l’hostilité devient intraitable et violente.

Tel fut Versailles : les écrits d’alors suffiraient à nous dire son histoire. A son début, en dehors des pamphlets imprimés en pays ennemi et sauf quelques notes malveillantes, le plus souvent tenues secrètes par leurs auteurs, qu’ils s’appelassent La Bruyère, Bussy-Rabutin, Saint-Simon, les « merveilles » de la nouvelle résidence royale excitèrent un enthousiasme presque unanime, et longtemps on devait chanter, comme le rappela Victor Hugo,


Cet éblouissement splendide
De rois, de femmes et de dieux.


Mais peu à peu, à mesure qu’on marcha vers « le déluge » que Louis XV sentait venir, la ville de Louis XIV vit s’accroître le nombre de ceux qui l’attaquèrent avec une passion d’autant

  1. « La grande galerie de Versailles et ses deux salons n’ont pas eu peu de part à irriter et à liguer l’Europe contre le Roi. » (Saint-Simon : Mémoires.)