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aura assurément peine à les trouver. Si elle veut faire réflexion que l’on verra à jamais dans les comptes des trésoriers de ses bastiniens que, pendant le tems qu’elle a despensé de si grosses sommes en cette maison, elle a négligé le Louvre qui est assurément le plus superbe palais qu’il y ait au monde et le plus digne de la grandeur de Vostre Majesté… O quelle pitié que le plus grand Roy et le plus vertueux, de la véritable vertu qui fait les plus grands princes, fust mesuré à l’aune de Versailles[1] ! » Le Roi n’admit pas cette distinction entre sa gloire représentée par le Louvre et son plaisir figuré par Versailles. A ses yeux, le Louvre était l’œuvre de ses prédécesseurs, à laquelle il ne pouvait qu’ajouter, — et il y ajouta la colonnade qui en est la plus belle parure ; mais Versailles, dont il avait lui-même élaboré le plan à l’heure de ses plus éclatans succès, ce devait être son œuvre, à lui seul, et il entendit en faire non pas seulement le théâtre de ses plaisirs, mais le temple même de sa gloire. Aussi avec quelle fierté satisfaite se plaît-il à montrer lui-même, à ses hôtes, les agrandissemens, les embellissemens de ces lieux, « où les yeux sont ravis, les oreilles charmées, l’esprit étonné. » En moins de huit ans, le château de plaisance de Louis XIII, déjà transformé par Le Vau en une grandiose demeure du plus élégant aspect, devint l’immense palais où fut logée toute la cour et qui eut pour dépendance une ville entière. En cela comme en toutes choses, Louis XIV voulut, selon une formule qui lui était chère, « être obéi et obéi sur-le-champ. »

En vain Colbert, qui avait dû se résigner, ordonnançait-il pour Versailles une dépense dix fois plus forte que pour le Louvre, jamais Louis XIV, pour l’exécution de son dessein favori, n’estimait la marche des travaux assez rapide. « Il faut toujours presser, » ne cesse-t-il d’écrire, réclamant de longues relations, voulant « le détail de tout. » A tout instant, Colbert doit se rendre à Versailles pour que les nouveaux bâtimens soient prêts « dans le moment qu’a dit le Roi. » « Cette semaine, — écrit-il, le 1er mars 1676, à Louis XIV qui, cette fois, veut bien reconnaître que, pour l’argent, son ministre fait des merveilles, — il y aura une visite générale faite avec MM. Francine et Denis de toutes les fontaines, Le Nôtre et Colinot de tous les jardins, Lemaire de tous les robinets, ajustages et ouvrages de cuivre, Berthier de toute

  1. Lettres, Instructions et Mémoires de Colbert : lettre du 21 septembre 1675.