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fait une vérité : « A force de vouloir paraître grand, vous avez pensé ruiner votre véritable grandeur ; hâtez-vous de réparer ces fautes ; suspendez tous ces grands ouvrages ; renoncez à ce faste ; laissez en paix respirer vos peuples… » Saint-Simon n’avait pas commencé, en des Mémoires destinés à une postérité lointaine à noter avec acrimonie « les défauts si monstrueux de ce palais si immense et si immensément cher, avec ses accompagnemens qui le sont encore davantage : orangerie, potager, chenil, grandes et petites écuries pareilles, communs prodigieux, enfin une ville entière[1]. » Ce n’était, de toutes parts, alors qu’un cri d’étonnement, d’admiration. En vers et en prose, en français, en latin, dans toutes les langues, on ne cessait de célébrer ce lieu magnifique, ce pompeux séjour de Versailles, désormais tenu pour inséparable de la personne royale, et auquel on dédiait ce distique :


Rex, regnum, domus hæc tria sunt spectacula mundi ;
Rex, animo ; regnum, viribus ; arte, domus.


Versailles, c’était alors l’apothéose de la France, c’était l’abaissement de ses ennemis qui, dès lors, travaillèrent à s’en venger. Il ne suffisait pas à Louis XIV de triompher du présent, il lui fallait aussi dominer le passé de toute la hauteur de son orgueil. Le Roi n’était pas encore installé dans sa nouvelle résidence qu’un de ses historiographes écrivait, préludant ainsi à la fameuse querelle des anciens et des modernes : « L’Italie doit céder présentement à la France le prix et la couronne qu’elle a remportée sur toutes les nations du monde en ce qui regarde l’excellence de l’architecture, la beauté de la sculpture, la magnificence de la peinture, l’art du jardinage, la structure des fontaines et l’invention des aqueducs. Versailles seul suffit pour assurer à jamais à la France la gloire qu’elle a à présent de surpasser tous les royaumes dans la science des bâtimens. Aussi est-elle redevable de cette haute estime à la grandeur et à la magnificence de Louis le Grand, son invincible monarque. C’est dans cette maison royale et charmante que vous êtes invités de venir, peuples de la terre, curieux et savans. Vous y verrez l’ancienne et la nouvelle Rome ; vous y verrez tout ce que le monde a jamais eu de beau et de surprenant. Admirez-y l’habileté, le savoir, la conduite et la délicatesse des ouvriers. Admirez-y la

  1. La population du château et de ses dépendances s’éleva à près de 10 000 personnes.