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liste et veut le faire arrêter par le constable de la paroisse. L’hypothèse la plus favorable voit en lui un artiste : cela explique ses longs cheveux, ses façons excentriques qui sont, probablement, des réclames pour attirer l’attention. Lady Hammergallow donne un at home en son honneur et songe vaguement à le « lioniser. » Mrs Jehoram prend la peine de flirter avec lui. Mais l’immortel intrus multiplie les « gaffes » à ce point que quelqu’un prononce : « Il est ivre ! » Le vicaire s’avoue, avec désespoir, qu’il est impossible « de faire d’un ange un gentleman » et, la mort dans l’âme, lui donne ses huit jours. L’ange dont les ailes s’atrophient dans notre air, mais à qui il pousse en revanche des passions humaines, est déjà coupable de toutes sortes de délits prévus et punis par la loi : violation de propriété, bris de clôtures, prédications diffamatoires et révolutionnaires, coups et blessures pouvant occasionner la mort… Finalement, il disparaît dans un incendie, emportant avec lui une petite housemaid, la seule âme qui l’ait compris ici-bas et ce dénouement fera sourire ceux qui ont eu affaire aux housemaids britanniques.

Dans une de ces élégantes maisons de Folkestone sur la route de Sandgate dont la mer, à marée haute, caresse les jardins, vit une famille de riche bourgeoisie. Plusieurs membres de cette famille sont en train de prendre leur bain journalier. Mais qu’aperçoit-on, là-bas ? Une femme qui se noie ! On court ou, plutôt, on nage à son secours. On l’amène à terre et on s’avise qu’elle a une queue de poisson : c’est une sirène. La voici installée dans la maison. Bien différente de l’ange, elle se comporte avec un décorum parfait. Comment est-elle si bien instruite des usages ? C’est qu’il existe, au fond des eaux, une bibliothèque circulante, composée de romans anglais que les voyageurs ont jetés à la mer après les avoir achevés, notamment des éditions Tauchnitz qui ne passent pas à la douane. Et voilà comment se fait l’éducation des sirènes. Sur la foi de la vieille légende, on suppose qu’elle vient chercher une âme. « Qu’est-ce, au juste, qu’une âme ? » demande-t-elle. « Une âme !… Mais… c’est bien simple… Tout le monde sait ce que c’est. » — « Alors, dites-le-moi. » L’interlocuteur s’aperçoit qu’il n’est pas si aisé, après tout, de définir une âme.

Tandis que l’ange dans A Wonderful Visit semblait, à certains égards, une réceptivité vide et ne représentait rien par lui-même, la sirène symbolise toutes les attractions extra-légales et