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sur une manifestation quelconque d’un sentiment collectif ou individuel ; mais, en ce cas, ils furent déçus, car ni un mot, ni un geste n’indiquèrent l’impression du cénacle, et dès qu’ils eurent terminé, le Président mit fin à leur audience par une phrase polie qui me rappela le vers de Flaminius dans Nicomède :


C’est de quoi le Sénat pourra délibérer.


Ceci pouvait n’être qu’une réserve strictement correcte, mais ce qui me parut assez singulier, c’est que, après leur départ, pus une allusion ne fut faite à leurs paroles, et que, comme s’il se fût agi d’un incident insignifiant, le reste de la séance fut consacré à de tout autres objets. Une semaine seulement plus tard, la question fut examinée.

Dans l’intervalle, M. Waddington, de plus en plus éclairé d’abord, je crois, par cette attitude indifférente, et ensuite par ses entretiens avec ses collègues, sur le mouvement rétrograde que subissait la cause grecque, comprit l’urgence de resserrer la ligne frontière de son plan primitif, et même, pour prévenir un échec, de ne point donner à la solution proposée un aspect trop absolu. Il ne s’y décida, je le sais, qu’avec peine, pour rallier à l’agrandissement territorial du royaume les opinions désormais, défiantes, indécises ou indolentes. Il eut soin cependant de définir, dans un travail précis, les limites minimum de l’annexion, de telle sorte que l’assemblée ne pût, sans se déjuger ouvertement, refuser de les accepter. En second lieu, tout en regrettant de ne pouvoir donner à son projet la forme d’un décret impératif et immédiatement exécutoire, il lui imprima toutefois le caractère d’un acte ferme de la volonté européenne. Enfin, il eut le mérite de le soutenir dans la séance du 5 juillet avec une éloquence chaleureuse et persuasive, inspirée par les meilleures traditions politiques et parlementaires. Son discours, très étudié au fond, mais dont les développemens improvisés n’ont pu être que résumés au protocole, entraîna l’assistance par son impulsion oratoire et son argumentation énergique, et enleva l’assentiment unanime.

Le principe seul, il est vrai, était reconnu : soit par crainte d’une crise dans les Balkans, soit pour ne pas décréter lui-même une nouvelle atteinte à l’intégrité de l’Empire ottoman, le Congrès croyait bon de faire, au préalable, un appel prudent et