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Tous ceux qui ne feront que de se lamenter sur leur propre sort, qu’étaler leurs seules douleurs, ne pourront pas se réclamer de Lamartine. Ceux qui n’immoleront point leur raison à leur sensibilité et qui emploieront leurs vers,


Quand leur corde n’aurait qu’un son,


à autre chose qu’à célébrer les bontés de la Providence, ne se réclameront pas de Lamartine. Tous ceux pour qui beauté de la nature, douceur de l’amour, frisson de la mort, ne se confondront pas en une seule mystique pensée, Dieu, ne se réclameront pas de Lamartine. Tous ceux qui ne prêcheront point l’espoir universel et qui regarderont la terre autrement que comme un lieu d’exil ne se réclameront pas de Lamartine. Ce peuvent être des faiseurs de vers lamartiniens, ou des rêveurs romantiques sur leur propre sort, ou des demi-lamartiniens… Mais qu’on y fasse bien attention, ils se sépareront tôt ou tard de Lamartine…

Grégoire Alexandresco trahira bientôt Lamartine dans ses recueils ultérieurs pour d’autres maîtres dont il trouvera la nature plus conforme à la sienne. Déjà, en 1832, on lui découvre une physionomie propre.

C’était, à ce moment-là, une nature bien plus maladive, bien plus impressionnable aux chocs de la vie, et partant bien plus égoïste, que son maître. Aucun problème intellectuel ne la hante, celui de l’existence encore moins qu’un autre. Il est trop occupé de ses propres blessures, il n’en oublie aucune, il est surtout très soucieux de nous les faire connaître : « Il y a trois mois que j’ai perdu mes parens… » « Resté seul au monde, je suis dépourvu de tout bien. »

S’il croit en Dieu, il y croit d’une façon particulière. Il y croit à la façon des gens du commun, pour en avoir entendu parler, par intérêt ou par peur. Mais, la plupart du temps, les notions de « vie » et de « Dieu » sont distinctes dans son cerveau : il y pense à des momens différens. Dans Minuit et dans Le Retour, morceaux remplis des souffrances du poète, l’être divin ne fait même pas son apparition. L’auteur souffre d’une part et « croit » d’autre part. Quand, par hasard, l’image de Dieu se présente à lui, il s’empresse de lui adresser une demande ou de pieux remerciemens : c’est Dieu qui semble fait pour lui, et non lui pour Dieu.