Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

géographiques plus ou moins bien déterminées, les bénéfices des uns, les sacrifices des autres, les accords transitoires et la longue série des résolutions secondaires se trouvèrent indiqués en termes tantôt exacts et tantôt discrets, mis en vedette ou laissés dans la pénombre. Le Congrès adopta cet ensemble après une rapide révision. L’instant de la signature était venu.

Le 13 juillet 1878, un mois juste après la réunion première, la foule se pressait encore devant les grilles du palais Radziwill, saluant les plénipotentiaires en uniforme et constellés de décorations. Dans la salle, ceux-ci s’adressaient des félicitations sur l’issue pacifique des négociations, seul avantage en effet qui leur fût commun. Puis ils procédèrent sans préambule et sans commentaires à l’apposition de leurs signatures et de leurs cachets sur les exemplaires originaux destinés à chacune des Puissances. Les textes, sur parchemin, n’avaient pas été copiés suivant l’usage, mais imprimés. La certification fut faite ensuite par M. de Radowitz et moi, et l’on prit place autour de la table pour la dernière fois. Le comte Andrassy remercia le Président, au nom de tous ses collègues, « de la sagesse et de l’énergie avec lesquelles il avait dirigé les travaux. » Le prince de Bismarck exprima à son tour sa haute gratitude à l’assemblée pour la constante « bienveillance qu’elle lui avait témoignée » et complimenta gracieusement les secrétaires de leur concours. Enfin, s’élevant à des considérations générales, après avoir déclaré que « la mémorable époque » du Congrès « resterait ineffaçable dans son souvenir, » et rappelé « le grand bienfait de la paix assurée dans les limites du possible, » il exhorta ses collègues à dédaigner « les critiques de l’esprit de parti, » et ajouta que « l’histoire rendrait justice à leurs intentions. » Ce mot étant peut-être un peu faible, il s’empressa de le corroborer en affirmant l’espoir « qu’avec l’aide de Dieu, l’entente resterait durable » et en proclamant que « le Congrès avait bien mérité de l’Europe. »

Après ces paroles à la fois pompeuses et réservées, il prononça la clôture des séances. L’assemblée se sépara quelques instans plus tard au milieu des manifestations réciproques de cordiale courtoisie. En réalité, si elle avait bien accueilli les louanges un peu banales de son président, et voyait avec un certain allégement d’esprit sa campagne achevée sans encombre, elle demeurait à l’heure des adieux plutôt froide et soucieuse. Cette impression me paraissait visible sur les visages sourians.