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origine, — auquel cas il aura eu besoin vraiment d’une force de dissimulation extraordinaire pour parvenir à n’en jamais rien laisser paraître dans ses entretiens, — ou si, peut-être, il l’avait oubliée, comme cela arrive parfois aux déséquilibrés de sa sorte. M. Lang, pour sa part, serait disposé à admettre plutôt cette seconde hypothèse ; et le fait est que ce qu’il nous apprend du caractère de Gaspard Hauser ressemble fort à des traits d’amnésie, de double personnalité, d’ « automatisme ambulatoire, » observés chez divers sujets hystériques, et cités notamment par Myers dans son livre posthume sur la Personnalité humaine. Mais comment, dans cette hypothèse, expliquer les lettres qu’apportait Gaspard ? Et n’est-il pas plus simple, au total, de supposer que le jeune homme n’a oublié son identité qu’à demi volontairement, afin de pouvoir mieux jouer son rôle, avec cette curieuse facilité qu’ont souvent les menteurs à devenir, eux-mêmes, dupes de leurs mensonges ?


En tout cas, nous pouvons affirmer désormais qu’il n’y a point de « mystère, » au sens habituel de ce mot, dans l’histoire de l’étonnant personnage que l’on a jadis appelé « l’enfant de l’Europe. » Il n’y a pas non plus de mystère, — nous le savions déjà, mais M. Lang a bien fait de l’apprendre à ses compatriotes anglais, — dans la trop célèbre Affaire du Collier. Et il n’y en a pas non plus dans une autre affaire presque aussi célèbre en Angleterre et en Écosse que l’est chez nous celle-là : l’affaire connue sous le nom de la « Conspiration Gowrie, » et qui consiste, en fin de compte, dans un attentat organisé, sans succès, par des gentilshommes écossais, contre la vie du roi Jacques VI. Le « mystère, » ici, vient de ce que les Gowrie, après l’échec de leur attentat, ont imaginé de prétendre que c’était au contraire le Roi qui avait essayé de les faire périr : mais M. Lang établit, à grand renfort de preuves matérielles et morales, la monstrueuse absurdité de cette prétention. Ainsi, de chapitre en chapitre, tout au long de son livre, il va dissipant ces énigmes fantaisistes que l’imagination des chroniqueurs ou le parti pris des pamphlétaires, se sont plu à inscrire en marge de l’histoire. Parfois il les attaque de face, comme pour la légende de Gaspard Hauser ; ou parfois il se borne à nous en exposer tout au long les détails, en nous laissant le soin d’en apprécier nous-mêmes la folle invraisemblance.

C’est ainsi qu’il fait, par exemple, pour l’aventure de ce soi-disant comte de Saint-Germain qui, vers le milieu du XVIIIe siècle, a intrigué toute l’Europe à la fois par l’étalage de son luxe et par ses hâbleries.