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Celui-là était un imposteur d’une tout autre trempe que le pauvre Gaspard Hauser : et aux témoignages français qui nous parlaient de lui M. Lang en a joint d’autres, anglais, allemands, hollandais, qui achèvent de mettre en plein relief cette inquiétante figure de charlatan cosmopolite. Mais peut-être l’écrivain anglais aurait-il dû, en cette circonstance, pousser plus loin encore son ironie et son scepticisme. Le fait est que, après nous avoir raconté la carrière de Saint-Germain au XVIIIe siècle, il s’est trouvé en présence d’un document plus récent qui l’a amené à se demander, presque sérieusement, si le fameux aventurier de la cour de Louis XV n’aurait pas été doué, en effet, de ce don d’immortalité qu’il prétendait avoir. Voici, d’ailleurs, en quels termes il nous signale la possibilité d’une seconde incarnation de « l’immortel Saint-Germain : »


Une fois encore nous rencontrons Saint-Germain, De nouveau il est à Paris, de nouveau il étale une richesse mystérieuse, de nouveau il disparaît plutôt qu’il ne meurt. Cette fois, il s’appelle le major Fraser, et la date se trouve être une des dernières années du règne de Louis-Philippe. Après cela, je reconnais que l’information me vient d’une source qui ne laisse pas d’être quelque peu sujette à caution : elle me vient de mon ingénieux confrère feu M. Vandam, qui, dans ses Souvenirs d’un Anglais à Paris, a consacré quelques ligues au major Fraser. Je constate du moins que M. Vandam ne fait aucune mention de Saint-Germain, et ne semble pas avoir jamais entendu parler de ce personnage.

Il nous apprend que le major Fraser « n’était pas Anglais, malgré l’apparence de son nom, et bien qu’il parlât parfaitement l’anglais. » Tout comme Saint-Germain, « il était un des hommes les mieux vêtus de Paris. Il vivait seul, et ne faisait jamais aucune allusion à sa famille. Avec cela, toujours prodigue de son argent, encore que les sources de sa fortune fussent un mystère pour tout le monde. » Il avait une connaissance merveilleuse de tous les pays d’Europe, à toutes les époques. « Sa mémoire était vraiment incroyable ; et, chose singulière, souvent il donnait à entendre qu’il en avait pris les éléments ailleurs que dans les livres. Maintes fois il m’a dit, avec un étrange sourire, qu’il était presque convaincu d’avoir connu Néron, de s’être entretenu avec Dante, et ainsi de suite. » A sa mort, on n’a découvert chez lui, aucune somme d’argent, ni aucun papier qui pût renseigner sur ses antécédens. Mais, au reste, est-il mort ? M. Vandam ne cite point de date, pas plus qu’on n’en cite pour la mort de Saint-Germain. Et nous apprenons enfin que l’énigmatique major « passait pour être le fils illégitime de quelque prince de la Cour d’Espagne. » De telle sorte que, si cette histoire du major Fraser n’est pas un pur roman, sans aucun doute nous retrouvons là l’immortel ami de Louis XV et de Mme de Pompadour.


Oui : mais, sans aucun doute, cette histoire du major Fraser est