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singulièrement trouble. Tantôt il désapprouve la délation, et tantôt il l’approuve, pourvu qu’elle se maintienne dans de certaines limites, ou plutôt qu’elle suive certains chemins qu’il a pris la peine de lui tracer. Nous avons parlé de l’institution des délégués : rien ne peint mieux un régime que la consécration officielle et l’aveu public de ces fournisseurs de renseignemens. M. Combes s’était fait fort de prouver que les délégués avaient existé de tout temps. De tout temps, en effet, il a bien fallu qu’un préfet, qui est un hôte passager dans un département, qui n’y connaît personne lorsqu’il y arrive et n’y connaît que peu de monde lorsqu’il le quitte, se renseignât auprès de quelqu’un ? Mais c’est jouer sur les mots et se moquer de la Chambre que d’établir la moindre analogie, sous ce rapport comme sous tant d’autres, entre hier et aujourd’hui. M. Combes a fait de ses délégués des fonctionnaires réguliers, permanens, officiels ; il leur a donné un caractère administratif ; il les a posés dans les communes d’opposition comme des substituts du maire dont ils prennent la place aux yeux de la préfecture ; enfin il les a désignés comme les collecteurs de la délation, qui est condamnable en dehors d’eux, mais qui cesse de l’être lorsqu’elle passe par eux. Voilà ce qu’on reproche à M. Combes. Désormais les délateurs savent à qui ils doivent s’adresser : leur seul tort jusqu’ici a été de correspondre directement avec M. Vadécart, qui n’était pas délégué administratif. La Chambre éprouvait un véritable malaise devant ces étranges distinctions. M. Combes l’a senti, et il a eu recours à une autre, empruntée à nous ne savons quel dictionnaire. Il a cherché à définir la délation, et il a conclu qu’elle consistait essentiellement dans le fait que son auteur était payé pour la faire. Pas de paiement matériel, pas de délation. S’il y a par exemple des amateurs qui, par simple amour de l’art, et parce que la nature les a façonnés pour être des limiers de police, ont apporté à leur loge maçonnique, qui les a transmis à M. Vadécart, qui les a transmis au ministère de la Guerre, des renseignemens sur nos officiers, ce n’est pas là une délation. Ont-ils été payés ? Tout est là. Ne sentez-vous pas que c’est un métier qu’on peut faire avec désintéressement, et qui dès lors se hausse à la dignité d’un service public et réhabilite celui qui s’y livre ?

Misérables arguties ! Un délateur, de quelque prétexte qu’il se couvre, est un délateur, et ce qui caractérise son action, c’est sa lâcheté. La délation se distingue du renseignement avouable en ce qu’elle est mystérieuse et secrète, qu’elle blesse et même qu’elle tue quelquefois dans l’ombre, sans que la main d’où elle sort apparaisse