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l’alignement commun ? La question est grave. A Clermont-Ferrand, par exemple, on savait bien que le bottier du régiment dénonçait le général ; il a même réussi finalement à le faire sauter ; mais on n’en avait pas la preuve matérielle et écrite ; on ne pouvait pas l’apporter à la tribune. Il n’en est pas de même pour les délations de certains officiers contre leurs supérieurs hiérarchiques. Si des actes pareils ne sont pas réprimés comme ils doivent l’être, la discipline militaire ne sera bientôt plus qu’un souvenir.

Nous n’insisterons pas aujourd’hui davantage sur la délation, ayant à dire un mot d’un autre fait qui a également sollicité l’attention publique, et l’a émue très vivement. Un professeur du lycée Condorcet, M. Thalamas, a parlé de Jeanne d’Arc à ses élèves dans des termes qui ont fait scandale : cela suffit pour que M. Thalamas ait manqué à ses devoirs les plus élémentaires. Nous ne demandons pas à un professeur de renoncer à la conception particulière qu’il peut avoir du personnage de Jeanne d’Arc. Il lui est permis, par exemple, comme à tout le monde, de croire que le rôle historique de notre héroïne nationale s’explique en dehors de toute intervention surnaturelle ; mais ce sont là des questions qu’on n’est peut-être pas obligé de traiter dans une classe de seconde, et auxquelles, en tout cas, on ne doit toucher qu’avec beaucoup de tact, c’est-à-dire de réserve et de discrétion. Il n’y a, dans les annales d’aucune nation, une gloire plus pure en même temps qu’une destinée plus merveilleuse que celle de Jeanne d’Arc. Aucune légende n’est plus belle que cette histoire, et aucune histoire n’est plus réconfortante pour un patriotisme qui ne consent pas à désespérer. Les opinions peuvent différer sur les sources où la jeune Lorraine a puisé son inspiration ; mais, qu’on prenne le mot dans le sens que l’on voudra, cette inspiration tient du miracle. M. Jaurès a dit à la Chambre que ce problème historique, comme tous les autres, devait être soumis à la science, qui est la souveraine du jour. Nous respectons ses droits ; mais, en somme, la science constate plus de faits qu’elle n’en explique, et si celui dont il s’agit ici n’est pas des plus difficiles pour M. Homais, c’est à coup sûr un des plus délicats pour un professeur qui respecte son sujet, ses élèves et sa mission. On dit que Jeanne d’Arc a été une illuminée. Soit ! mais elle a été en même temps un prodige d’équilibre moral, de bon sens et de liberté d’esprit, en dépit de l’exaltation qu’on lui attribue et qui lui a fait faire de si grandes choses. Ses réponses au cours de son procès témoignent de la qualité de son intelligence comme de celle de son cœur, et lorsqu’on songe qu’elles sont sorties de la bouche d’une jeune fille de