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de fils enveloppant les pays et les mers a propagé la nouvelle, et c’est un immense bruit, troublant le repos de tous ; dans chaque lieu, dans chaque recoin où les hommes ont groupé des machines à tuer, un vacarme d’orage retentit, — comme ici même dans cette baie si éloignée et si étrangère.

D’aucuns la disaient bonne et pitoyable aux souffrances, la si vieille reine qui vient de mourir : alors, combien son déclin dut être angoissé par les spectres du Transvaal, si seulement elle avait gardé un cœur un peu maternel à travers les griseries de l’adulation et du faste. Nul ne m’était plus indifférent qu’elle, et cependant sa fin m’émeut presque, en cette pluvieuse journée d’hiver ; c’est qu’elle était souveraine bien des années avant ma naissance, et, tout enfant, j’entendais souvent prononcer son nom, en ce temps-là sympathique aux Français ; une période meurt avec son interminable règne, et il semble qu’elle nous entraîne un peu tous à sa suite dans le passé…

Mais, il était écrit que, dans ce pays, je ne pourrais rien prendre au sérieux… Voici maintenant que je pense à l’impression des mousmés, dans toutes ces maisonnettes perchées sur la rive, entre les feuillages trempés de pluie, à leur surprise d’entendre ces salves qui ne finissent plus ; les petits carreaux de papier, les petits châssis à glissière s’ouvrant partout, dans ces logis frêles comme des jouets de Nuremberg, et des têtes gentiment comiques, se risquant sous l’averse, pour se demander les unes aux autres, après la révérence obligée : « Qu’est-ce qu’il y a, mademoiselle Tulipe ?… Qu’est-ce qu’il se passe donc, mademoiselle la Lune ?… » Alors le sourire me vient malgré moi, ce sourire irrésistible que me causent toujours les figures des mousmés ou des jeunes chats…

Sur le soir, quand le vrai crépuscule s’ajoute à la pénombre des nuages et de la pluie, la canonnade par degrés s’apaise. A longs intervalles, quelques derniers coups grondent encore, prolongés par l’écho. Et puis un infini silence retombe sur cette mort, avec la nuit qui vient : la page de l’histoire est tournée ; la vieille reine commence sa descente éternelle, dans la paix peut-être, assurément dans la cendre et l’oubli…


Dimanche 20 janvier. — Les derniers chrysanthèmes, fripés par les gelées du matin, ont disparu de l’étalage de Mme l’Ourse, ma fleuriste ordinaire, pour faire place à des camélias et à des