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réflexions que vous me faites sur la nécessité de vivre indépendans. Quant à l’habitation, ce que nous pouvions désirer de mieux, était de la tenir de l’Empereur de Russie. L’asile qu’il m’offre est la principauté de Yever, en Westphalie, à la rive gauche et pas bien loin de l’embouchure du Weser, à quelques lieues de Bremen. Vous imaginez bien que je l’ai accepté avec reconnaissance ; cependant je ne puis pas y aller encore : cela serait imprudent tant que les patriotes auront des troupes à la rive droite du Rhin et même en Hollande. Mais quand ces pays seront libres, je ne pourrai moi-même l’être davantage que chez le digne fils de Catherine II.

« Vous me dites que vous imaginez que mon neveu m’y suivra, sans doute ; mais pensez-vous que lorsque la paix générale, ou du moins notre sort assuré, me permettra de prendre une habitation fixe, en attendant des momens plus heureux, je puisse n’y pas rassembler autour de moi tout ce qui m’est cher ? J’ignore si le séjour de Yever est agréable, mais je sais qu’avec mes enfans tout sera pour moi le paradis terrestre et je serais trop malheureux si je croyais que vous ne pensassiez pas tous de même. Mais ce serait chercher à se tourmenter inutilement que de concevoir de pareilles idées, et si je désire que vous me rassuriez contre elles, ce n’est que pour avoir un témoignage de plus d’une tendresse à laquelle mon bonheur est attaché. »

Pour achever de calmer sa nièce, il redouble d’attentions et de prévenances. Le 1er août, elle reçoit de lui, par l’entremise de La Fare, un charmant habit de linon brodé. « Ce n’est pas l’ouvrage, quoiqu’il soit très joli, qui me fait plaisir, mais c’est qu’il vient de votre part. » Puis, il lui fait espérer un portrait de Marie-Antoinette ; il lui promet le sien, celui du Duc d’Angoulême qu’elle attend avec d’autant plus d’impatience qu’elle pose en ce moment devant un peintre viennois afin que son fiancé possède son image.

Du reste, le désir qu’elle exprime à cet égard ne signifie nullement qu’elle soit pressée de se marier. Elle a déjà dit qu’elle préfère attendre. La lettre dans laquelle son oncle lui a rappelé les cruels souvenirs de la Tour du Temple lui fournit l’occasion de le répéter.

« Il ne suffit pas, mon très cher oncle, d’être dans la Tour du Temple pour être malheureuse. Assurément, il n’y a rien de pire qu’une prison. Mais les pertes que j’ai faites suffisent pour