Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inspirer et n’a-t-elle pas fini par concevoir de l’éloignement pour l’état de médiocrité momentanée où pourrait la condamner son mariage avec mon neveu ? Voilà ce qui me préoccupe. Vous allez à Vienne ; vous la verrez ; tâchez de savoir ce qu’elle pense et de la rattacher, s’il y a lieu, à l’idée de cette union, à lui en inspirer le désir ; appliquez-vous enfin à seconder mes vœux qui sont aussi ceux du Duc d’Angoulême et de la France.

Bonnay commença par se récuser. Il manquait de moyens à Vienne pour remplir les intentions du Roi. Mais celui-ci insista. Il connaissait le dévouement et l’habileté de ce royaliste fidèle, son esprit de pénétration et ne lui demandait après tout qu’à se rendre utile dans la mesure où il le pourrait. Bonnay finit par céder et promit tous ses efforts pour donner satisfaction à son prince. En arrivant à Vienne et après avoir été reçu par Madame Royale, de laquelle il n’eut qu’à se louer, il put d’abord constater que si l’Empereur avait espéré, en traitant pour la liberté de sa cousine, la faire contribuera l’agrandissement de sa maison, il y avait ensuite renoncé devant la résistance opposée par elle à ses suggestions. Cette résistance, on la devait surtout à Mme de Soucy. C’est elle qui s’était attachée à armer Madame Royale et à la mettre en garde contre les vues de la Cour de Vienne, ne craignant pas « pour ajouter l’arme du dégoût à toutes les autres, » de lui faire sur la personne et la santé de l’archiduc Charles des confidences très intimes : c’est elle aussi qui lui avait conseillé d’écrire au Roi, dès sa sortie de France et avant d’arriver à Vienne.

Ainsi prévenue, peu accoutumée à dissimuler, la princesse, au lieu de se livrer aux caresses de sa famille, avait manifesté tant de froideur et si mal répondu aux avances de l’Empereur que celui-ci, au bout de quarante-huit heures, s’était cru obligé de provoquer une explication. Elle avait eu lieu et il en était résulté une promesse solennelle faite par François il de ne pas entraver le désir de Madame Royale. Depuis, la situation n’avait pas changé et il n’était pas exact de prétendre que la fille de Louis XVI eût été « autrichiennisée, » à moins qu’on n’entendit par là qu’elle n’avait pas dû, dans les lieux qu’elle habitait, apprendre à connaître et à apprécier les Français :

« En général, nous ne sommes guère aimés chez les étrangers, déclarait Bonnay en rendant compte à d’Avaray. Nous le sommes moins à Vienne qu’ailleurs ; nous le sommes moins