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consolation, au fond de son exil, la vaillante fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, devenue sa fille d’adoption.

Les lettres qu’il échange alors avec elle accusent de part et d’autre un redoublement d’affection, un plus pressant besoin de s’unir pour résister aux coups de l’adversité. Au commencement de novembre, le duc d’Enghien allant vers la Pologne avec l’armée de son grand-père fait un crochet par Vienne afin de voir sa cousine. Elle se hâte de le mander au Roi :

« Je vous demande pardon de ne vous avoir pas écrit la poste passée, mais c’est que j’étais dans l’attente du duc d’Enghien et je ne voulais vous écrire que quand je l’aurais vu. On l’attend ici depuis dimanche et il n’est arrivé que mardi soir. Je l’ai vu hier. Mon Dieu ! cela m’a fait grand effet de revoir enfin quelqu’un de ma famille. C’est extraordinaire que le sort fasse que je revoie celui-là le premier qui cependant m’est le parent le plus éloigné. Je regrette toujours beaucoup que le prince de Condé ne soit pas venu ici ; j’aurais tant désiré de le voir pour l’admirer et lui témoigner la reconnaissance que j’ai pour tout ce qu’il fait pour la bonne cause. Ne le voyant pas, j’ai bien chargé son petit-fils de le lui dire. Le duc d’Enghien mérite aussi bien des éloges, car à son âge, il s’est déjà bien signalé. Je ne me ressouvenais plus du tout de lui ni de sa figure ; cependant je l’ai reconnu aisément à son air noble et malheureux.

« Il y a ici assez de Français, presque tous de l’armée de Condé. Aujourd’hui je les verrai tous, du moins ceux qui sont à Vienne. C’est une chose qui me déchire l’âme que de voir ces malheureuses gens qui vont par cette saison-ci dans un pays tel que la Russie et qui les éloigne si fort de leur patrie, des vieillards qu’on mène sur des chariots par le froid, et pourquoi ? pour vivre dans des déserts, car on dit que les pays où ils vont ne sont presque pas habités que par des Cosaques. Là, ils seront seuls, sans savoir à peine des nouvelles de ce qui se passe. Je sais ce que c’est que d’ignorer ce qui se passe quand surtout cela vous intéresse. J’ai été deux ans entiers sans rien savoir du tout ni de mes païens qui sont morts en France, ni de ma famille, ni de la guerre, ni de ce qui se passait même à Paris. Il n’y a rien de pis que cette position. Ainsi je compatis bien sincèrement à celle des autres. Ces pauvres gens qui vont en Russie ont peut-être encore une famille en France. Là, ils en ignoreront totalement les nouvelles. C’est une chose qui me fait une