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me semble-t-il, sauf une maison autorisée à vendre de la bière ; une jolie auberge à enseigne, un abreuvoir auprès duquel subsistent encore les bois du pilori, depuis longtemps hors d’usage ; n’oublions pas une chapelle baptiste à peine plus grande qu’une cabine, indiquant toutefois que les dissidens affirment leur présence, comme ailleurs, dans cette localité de 400 âmes.

Les grandes propriétés ne manquent pas aux alentours. J’ai visité l’une des plus belles, Ashridge Park, dont les hautes futaies de hêtres sont célèbres ; elles se déroulent en avenues, s’éparpillent en bouquets sur des pelouses illimitées où les hardes de daims vagabondent gaîment. Le château pseudo-gothique du temps des Georges n’a de remarquable que ses énormes dimensions. Il a remplacé en 1808 l’ancien château où fut reléguée Elisabeth avant son avènement au trône. L’intérieur du moins a grand air : du vestibule haut comme une église et que parent uniquement des dépouilles et des trophées de chasse, on passe dans le vaste hall rempli d’objets précieux, meubles anciens, faïences de l’Inde, souvenirs de famille et de voyage. Deux vitrines gardent les ouvrages à l’aiguille faits par la future reine pendant sa captivité. Ils sont d’une fraîcheur étonnante et attestent qu’Elisabeth fut habile brodeuse ; mais plus curieux que ces bonnets, ces chaussures, ces portefeuilles, ces coussins, sont les pièces de la layette qu’elle prépara pour l’enfant prématurément annoncé de sa sœur Marie, lequel ne devait jamais naître et qui, s’il fût né, l’eût privée de la couronne.

Dès le hall, les portraits du maître et de la maîtresse de céans, l’un par Watts, l’autre par Leighton, vous accueillent ; le premier superbe, avec cette noblesse, cette sorte de grandeur historique et cette pénétration du caractère qui élève les portraits de Watts au-dessus des questions de costume et de temps. Le grand salon est un musée ; on m’y désigne un Rembrandt, deux Titien, un Franz Hals, quelques œuvres de valeur confondues avec d’autres qui ne comptent pas. Il me reste surtout le souvenir d’une magnifique marine de Cuyp.

La chapelle renferme la pierre tombale d’un des anciens abbés, — car le château fut d’abord une abbaye, — et des vitraux dont l’un, me dit-on, dessiné par Holbein ; mais je n’ai d’yeux que pour le jardin d’hiver avec vue sur le parc où l’on découvre certain chemin montant, vert d’émeraude, qui s’offre de loin pour vous mener vers des inconnus mystérieux. Autour de la