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Musique militaire, aigre et stridente, de fifres et de flageolets, défilé à l’orée du Parc de fantassins en vestes blanches, tous bien découplés et paraissant tous se ressembler entre eux dans leur impassibilité de soldats de plomb. Le mouvement des jambes, accompagné du balancement régulier d’un bras, semble automatique. Officiers à cheval reluisans, astiqués, eux aussi, comme l’est un jouet tout neuf sorti d’une boîte. Des gamins de couleur uniforme, ce brun particulier qui participe de la boue et de la fumée de Londres, courent à droite et à gauche, sur les pelouses, suivant la troupe avec une silencieuse énergie. Peut-être viennent-ils de faire un plongeon dans la Serpentine, qui, jusqu’au coup de huit heures, est livrée à leurs ébats aquatiques. La caserne Wellington n’est pas loin, ni la Parade ; j’aperçois souvent, dans le vert des avenues qui rejoignent Hyde Park Corner, la silhouette plus grande que nature de quelqu’une de ces splendides cariatides équestres, les Horse Guards.

La réception des dames américaines, venues en Angleterre, sur l’invitation de l’Association britannique, visiter les divers écoles et collèges, me trouve, fort à propos, au Lyceum. Un club du même nom s’est fondé sans retard dans leur pays. Les représentantes de plusieurs universités des Etats-Unis assistent au lunch d’une centaine de couverts qui réunit les notabilités de l’Association et des voyageurs français, allemands, etc. Plusieurs discours sont prononcés pour le triomphe des Américaines, toutes habituées à parler en public. Les présidentes de Barnard Collège, de Wellesley, de Mount Holyoke et un professeur de zoologie de Bryn Mawr s’expriment avec aisance, souvent avec esprit. Le premier toast a été porté à la Reine par Mrs Moberly Bell qui préside. Après elle Miss Béatrice Harraden insiste sur la nécessité pour les peuples de s’entendre, de se pénétrer en dépit des barrières élevées par les différences de langues, et autres raisons.

Tout le monde connaît Béatrice Harraden dont le beau livre d’une originalité poignante, Ships that pass in the night, a été admirablement traduit en français sous ce titre : Des ombres qui passent. Elle est bien la femme que laisse pressentir son œuvre, l’air jeune, délicate, nerveuse, très brune et comme brûlée au feu d’une ardente mélancolie. À ce que je lui dis du roman, qui m’a tant émue naguère, elle répond avec simplicité que les femmes ne savent pas peindre les figures masculines et que si