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comme Fidelio, rappellera désormais que l’union, l’unité même n’est pas impossible entre l’idéal et la réalité.

Si nous considérons maintenant l’œuvre en soi, rien qu’en soi, nous allons encore la trouver rigoureusement une. Elle a pour matière unique le sentiment ou la passion. Le mon le extérieur, le dehors, n’y est oublié nulle part ; mais il y est partout subordonné au dedans. Et cette soumission fait la beauté discrète, belle par la discrétion même, de certains paysages sonores. Au commencement du second acte, la chasse royale et nocturne parcourt les bois. Au lieu du « chœur des chasseurs » qui n’eût pas manqué de la célébrer naguère, de sourdes et lointaines rumeurs la trahissent à peine. Le thème que sonnent les cors, plutôt que d’éclater seul avec un relief trop personnel, avec une carrure trop saillante, se glisse, oblique et furtif, dans le courant de la symphonie, où il s’absorbe et se perd. Comme les bruits de la chasse, le murmure du ruisseau, le frisson du feuillage et jusqu’aux souffles de la nuit, tout est surpris, mais surpris seulement ; tout passe en cette scène délicieuse, mais rien n’y fait que passer.

Si courts que soient de tels passages, l’effet en est parfois saisissant. Il suffit de la mélopée d’un enfant perdu parmi les vergues pour découvrir au-dessus et autour du vaisseau qui porte la fille d’Irlande le double infini du ciel et des flots. C’est assez d’un refrain bref et rude, et derrière les tentures closes du pavillon d’Iseult nous devinons l’activité des matelots. Tandis qu’entre Iseult et Brangaene d’abord, puis et surtout entre Iseult et Tristan de tragiques entretiens se déroulent, une clameur soudaine en vient ça et là rompre le cours. Au moment où le héros va porter à ses lèvres le breuvage qu’il croit de mort, les voix de ses compagnons et celles même de la nature, celles de l’Océan qui fut sien et auquel il ne commandera plus, arrivent à lui comme un adieu. Le contraste ou plutôt la réaction est admirable, et la vie des choses, par ces brusques irruptions dans la vie des êtres, en fait mesurer mieux l’intensité et la profondeur.

Mais encore une fois la vie spirituelle ou morale domine le drame et l’anime tout entier. On pourrait même, pour cette raison, le qualifier de tragédie, si la fatalité du philtre, qui fait des héros les jouets ou les victimes et non les maîtres des événemens, qui nous les montre beaucoup moins agissans que pour ainsi dire agis, ne découronnait par cela même le genre ou l’idéal tragique de sa plus éminente et peut-être de sa plus essentielle dignité.

Quoi qu’il en soit, tragédie ou drame, l’intériorité constante suffit à sauver Tristan, et avec Tristan la musique de théâtre, des reproches