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longtemps. Il disparut après 1872, ayant donné pour ce dernier exercice une recette de 72 millions de francs. Pendant sa durée, de 1862 à 1872, en dix années, il avait produit en tout 1 835 millions de francs, alors qu’on en avait attendu, d’après les calculs paraissant les plus certains, une recette infiniment supérieure. En réalité, le système avait fait faillite. Dans un pays qui comptait alors presque 40 000 000 d’habitans, le plus grand nombre de contribuables que le fisc parvint à atteindre utilement ne dépassa jamais 276 661. Quelle n’eût pas été la révolte publique si l’application de la taxe avait été généralisée !

Ainsi échoua, par la force invincible des choses, une institution théoriquement logique mais impraticable dans une grande démocratie, quoique possible, non sans de graves inconvéniens d’ailleurs, dans un État monarchique, aristocratique, où l’impôt sur le revenu est réglé par ceux-là seuls qui le payent et correspond à des privilèges dont il est en quelque sorte une rançon.

Cependant les idées fausses ayant la vie fort dure, le système reparut sur l’eau plus de vingt ans après, les générations qui l’avaient expérimenté étant disparues en général des affaires sinon du monde des vivans. Lorsque le parti démocrate revint au pouvoir, en 1894, il trouva les finances dans une situation lamentable et se laissa entraîner à reprendre le projet d’un impôt sur le revenu. Une section du Wilson Bill le rétablit, le 27 août 1894, au taux modéré de 2 pour 100 et en exemptant les revenus au-dessous de 20 000 francs.

Ce ne fut point sans les protestations les plus vigoureuses, dans la presse et dans le Congrès. Au Sénat notamment, le 28 juin, un des membres les plus actifs de la haute assemblée, M. Hill, avait prononcé contre le projet le discours le plus énergique. Il avait montré combien et comment l’impôt présenté comme démocratique était injuste, anti-égalitaire, anti-social, inspiré par l’idée funeste de la « guerre aux riches, » représentait en définitive une « taxe sur l’énergie, » nuisant ainsi au bien public. Ou bien « tous les revenus devaient être frappés, ou bien aucun. » Il avait rappelé les inconvéniens, les dangers de l’inquisition des agens du gouvernement dans les affaires privées des citoyens, dans un pays où le pouvoir est toujours exercé par un parti en lutte contre un autre. Enfin, il avait justement signalé à son tour, après Montesquieu, l’impôt personnel comme un « genre d’impôt plus propre aux monarchies qu’aux républiques. » Les