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coïncidence, trente ans plus tard, en qualité de préfet de la Seine, j’ai passé sous ce même Arc, qui me rappelait tant de souvenirs, en conduisant ses cendres de Courbevoie aux Invalides. A la chapelle, j’avais été chargé de placer les cardinaux. Trente-quatre sièges étaient préparés ; il n’en vint que vingt-neuf ; je fis ôter les sièges vides, mais le premier soin de l’Empereur fut de les compter ; il m’appela et me demanda s’il ne manquait personne : je dus lui dire le chiffre. Le soir même, les cinq opposans reçurent défense de se présenter devant lui et de porter leurs insignes. On les appela les cardinaux noirs.

Il est impossible d’imaginer un plus beau coup d’œil que la grande galerie du Louvre avec sa double rangée de femmes et d’hommes en grand costume, depuis les Tuileries jusqu’à la chapelle aménagée dans le grand salon du Musée. Des loges avaient été dressées tout autour sur trois étages. La beauté rayonnait sous les atours. Chacune des reines et des princesses avait voulu se faire un cortège des plus belles personnes : Mmes de Trivulce, de Borroméo, de Lita, de Montecatini, de Garlile Morio, de Papenheim, de Lœwenstein, de Bochals, puis Mmes de Rovigo, de Montebello, de Bassano, de Bouillé, Duchâtel, de Périgord, d’Arenberg, de Schwarzenberg, de Reggio, de Castiglione, d’Abrantès, d’Eckmulh, Foy, Legrand, etc. Les princesses étaient charmantes : Pauline, Caroline, Stéphanie, grande-duchesse de Bade, la reine de Westphalie d’une extrême fraîcheur, la reine Hortense si gracieuse et d’une taille si élégante. La vice-reine était fort belle. Toutes les richesses du monde s’empressaient à les parer, comme toutes les gloires de la France à leur sourire. Comment douter de l’effet d’un pareil spectacle sur une jeune femme timide, fraîche sans être jolie, et toute confuse dans ce tourbillon ? Marie-Louise, que sa première couche a entièrement déformée, était très bien faite, à son arrivée ; elle avait un joli teint et un pied charmant. Sa timidité lui donnait de la grâce, comme si elle demandait d’être rassurée. Elle inspirait tout autour d’elle un mélange de respect et de sympathie, et ces sentimens joints à la toute-puissance lui conciliaient tous les cœurs. Je fus de toutes les fêtes, souvent désigné pour ouvrir les bals, en attendant le commencement de mon service particulier qui prit lieu à un petit voyage à Trianon où l’Empereur conduisait l’Impératrice se reposer d’un commencement de grossesse. C’était en juillet.