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l’émoi général. Toutefois j’étais bien aise d’avoir pu me juger dans un grand péril et faire ainsi l’épreuve de moi-même. L’Empereur reconduisit l’Impératrice jusqu’à la place Louis XV, puis revint chez le prince de Schwarzenberg qu’il ne quitta qu’après lui avoir donné de vives marques de son intérêt. Le lendemain, au lever, il me dit un mot obligeant sur ma conduite, laquelle, me dit-il, avait soutenu l’honneur de sa maison. J’ai vu peu de cérémonies plus tristes que les obsèques de la malheureuse princesse de Schwarzeuberg[1] à qui son dévouement maternel avait coûté la vie. Elle était dans le jardin, mais affolée à la pensée d’une de ses filles qui dansait à l’intérieur, elle avait voulu rentrer et avait été aussitôt écrasée par un lustre.

Quelques jours après, j’étais de service auprès de l’Empereur, à Trianon. Nous allions à Saint-Cyr. Je me trouvais avec le Grand Maréchal du Palais[2] et l’aide de camp dans la première voiture qui précédait Sa Majesté. Soudain se dresse une femme en noir, jetant les hauts cris, et tendant une pétition qu’elle ne voulait pas donner. Sa douleur, ses larmes et la nouveauté de l’impression me frappèrent plus que mes camarades. En descendant de voiture, les fourriers me remirent les placets. Le Grand Maréchal me dit que si je voulais m’éviter l’ennui du dépouillement, je pouvais envoyer le tout au cabinet de l’Empereur où cela était examiné. Je lui parlai alors de la pauvre femme. — « Ah ! me dit-il en souriant, on voit bien que vous êtes un conscrit. Ce zèle de pitié et de sollicitude vous passera avec le temps. Mais je consens à faire à votre place les paiemens au loto de l’Impératrice si vous voulez vous mettre en quête de votre protégée. » Je parvins à la découvrir. Le soir, au coucher de l’Empereur, bien que l’étiquette défendît de lui parler affaires, je lui rendis compte de la pétition : le mari, ancien soldat de l’armée d’Egypte, avait, dans un moment d’ivresse, manqué à son officier, et devait être fusillé à neuf heures, le lendemain. Sa Majesté écouta mon petit rapport avec indulgence, et me répondit : « Si vous y tenez, envoyez un sursis. » Le lendemain, à six heures, on me réveille : le maréchal Moncey demandait à me parler. Je me hâte. Il me dit qu’il veut voir l’Empereur. — « Mais la consigne est formelle ; l’Empereur à cette heure ne reçoit personne ; écrivez-lui, je lui

  1. Belle-sœur de l’ambassadeur.
  2. Duroc.