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chef ! Il n’a eu qu’un tort, c’est de ne pas vous faire arrêter de suite et passer au conseil de guerre. Il n’y a pas d’armée sans discipline. Vous y avez manqué : je vous retire votre régiment. Rendez grâce à vos services antérieurs si je ne me montre pas plus sévère et si j’use d’indulgence envers vous. » Son ton tranchant était terrible, mais cette volonté si impérieuse n’était pas moins délicate à récompenser d’un mot, d’un geste, d’un sourire, d’une question discrètement posée qui prouvaient combien sa mémoire était fidèle, et qui valaient tous les encouragemens.

Ses colères duraient peu, surtout avec ses soldats qu’il choyait et auxquels il réservait ses caresses, ses familiarités, ses plaisanteries, et dont il était fier jusque dans leurs incartades toujours marquées au coin de la valeur. En 1812, M. de Mesgrigny, mon beau-frère, écuyer de service, accompagnait son carrosse en galopant à la portière, quand un ancien officier vendéen s’approcha avec une pétition qu’il refusa de lui remettre et qu’il prétendait donner à l’Empereur lui-même. Repoussé assez vivement après plusieurs avis, il se retira, mais, le lendemain, il vint demander raison à M. de Mesgrigny en sa qualité de gentilhomme. Mon beau-frère consulta M. de Narbonne, qui consentit à lui servir de témoin. La rencontre eut lieu, et Mesgrigny fut légèrement blessé. L’Empereur parut d’abord très irrité. Il manda M. de Narbonne et lui dit sèchement : « Depuis quand, monsieur, mes officiers jouent-ils au paladin ? — Sire, depuis qu’ils sont aussi jaloux de l’honneur de votre maison qu’ils l’étaient autrefois de celui de leur nom et de leur épaulette ! » L’Empereur ne sévit pas : le Vendéen obtint même un léger emploi.

Ce duel m’en rappelle un que M. de Narbonne avait eu dans sa jeunesse et qu’il aimait à conter. Il était alors fort amoureux de la marquise de Coigny et avait pour rival malheureux M. d’Houdetot. Un soir qu’il sortait de chez elle, tenant encore à la main une rose qu’elle venait de lui donner, M. d’Houdetot s’avança sur lui et, sans plus d’explication, l’obligea à dégainer. Ne voulant pas lâcher sa fleur, il la mit à ses lèvres, mais dans l’ardeur du combat, elle lui échappa. Tout en parant, il se baissa pour la ramasser, et ce mouvement imprévu trompa son adversaire dont l’épée passa par-dessus son épaule, si bien qu’il s’enferra lui-même proprement. Il en eut pour six mois de lit, tandis que M. de Narbonne devait la vie à sa fleur.

Je reviens à l’Empereur : sa bonhomie n’altérait jamais sa