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Elles dansèrent, un peu dans le lointain, et dans la vague fumée de braises endormeuses ; elles mimèrent d’anciennes légendes, sous des masques risibles ou effroyables, au rythme des guitares et des chansons tristes. Nous ne parlions plus guère, fascinés doucement par le jeu de ces petites prêtresses de la danse, par le groupe éclatant et irréel qu’elles formaient là, dans la blancheur vide de cette salle trop grande.

A la longue pourtant le froid revint, accompagné d’un peu de lassitude et d’ennui ; on recommençait à se frotter les doigts de pieds, ou à les garantir de son mieux sous le velours des coussins noirs ; on s’endormait peut-être. Le prince proposa de lever la séance et de remonter en pousse-pousse.

Dehors, il neigeait, une neige pas bien méchante, des flocons lents, qui avaient l’air de voltiger plutôt que de tomber.

Pour rentrer chez nous, il fallait traverser un quartier très spécial, qui se retrouve dans toutes les villes japonaises et s’appelle toujours le Yoshiwara.

A Nagasaki, le Yoshiwara est une longue rue, en pente si roide que les pousse-pousse risquent de s’y emballer, pour descendre. D’ailleurs une longue rue ; des deux côtés et d’un bout à l’autre, rien que des maisons très accueillantes, aux portes grandes ouvertes, aux vestibules fort galamment éclairés de lanternes peintes. Dans l’une quelconque de ces demeures, si l’on jette les yeux, on est toujours sûr d’apercevoir dès l’abord, à travers un léger grillage en bois, un salon d’apparence comme il faut, orné de délicates peintures murales représentant des fleurs, ou des vols de grues dans des ciels de nuance tendre ; là, quelques jeunes personnes aux yeux baissés, accroupies en cercle sur des nattes, devisent à voix basse ou fument innocemment des petites pipes, dont elles secouent de temps à autre la cendre, avec autant de grâce que de précaution, dans une gentille boîte à cet usage, en faisant pan pan pan pan sur le rebord. Toutes les maisons de cette aimable rue se ressemblent, par la disposition intérieure, comme par l’aspect si cordialement hospitalier. Toutes, excepté une seule, une immense et somptueuse, qui perche au sommet de la montée, pour couronner, dirait-on, le sympathique ensemble ; celle-là reste close, ou n’entr’ouvre sa porte qu’avec circonspection extrême. (Assez intrigante, cette vaste maison d’en haut, qui fait mine de n’en être pas, et qui a pourtant bien l’air d’en être… Que diable peut-il se passer là-dedans ?…)