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silence et de presque voluptueuse mélancolie, passées là dans la nuit verte des arbres.

Et puis j’ai aussi une amie mousmé, pour laquelle je donnerais bien Mme Renoncule et Mme Prune avec Mlle Pluie-d’Avril, et que je rencontre, au cœur même de la haute nécropole, dans une sorte de bocage enclos, environné d’un peuple de tombes. — Oh ! en tout bien tout honneur, nos entrevues. — Et je crois que c’est elle, cette mousmé, qui personnifie à présent pour moi Nagasaki et la montagne délicieuse de ses morts. Il en faut presque toujours une, n’est-ce pas ? n’importe où le sort vous ait exilé, une âme féminine et jeune (dont l’enveloppe soit un peu charmante, car c’est là encore un leurre nécessaire) et qui vous vienne en aide dans la grande solitude, — en petite sœur de passage, pour qui l’on garde, quelque temps après le départ, une pensée douce, et puis, que l’on oublie…

Je n’en avais point parlé encore, de cette mousmé Inamato. Voici pourtant plus de trois mois que nous avons fait connaissance ; c’était encore au temps de ces tranquilles soleils rouges des soirs d’automne sur les jonchées de feuilles mortes. Et, depuis, nous n’avons cessé que par les temps de neige nos innocens rendez-vous, toujours là-haut dans ce même bois triste et muré ; mais cela reste tellement enfantin que je ne suis pas sûr que ce ne soit amèrement ridicule. Est-ce elle que je regretterai le jour du départ, ou seulement cette montagne avec son mystère et son ombre, avec ses enclos de vieilles pierres et ses mousses ?… Il est certain que je suis l’homme des vieux petits murs dans les bois, des vieux petits murs gris, moussus, avec des capillaires plein les trous ; j’ai vécu dans leur intimité quand j’étais enfant, je les ai adorés, et ils continuent d’exercer sur moi un charme que je ne sais pas rendre. En retrouver, dans cette montagne japonaise, de tout pareils à ceux de mon pays, a été un des premiers élémens de séduction pour me faire revenir, plus encore que la paix de tout ce merveilleux cimetière, plus encore que la profondeur et l’étrangeté magnifique des lointains déployés alentour.

Quant à la mousmé dont l’attraction est venue se greffer par là-dessus, c’est un beau soir empourpré de décembre, au siècle dernier, que brusquement nous nous sommes trouvés face à face. J’errais seul dans la nécropole, à l’heure de cuivre rouge qui annonce le coucher du soleil d’automne, quand l’idée me