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« Le Roi, qui partage aussi ardemment que moi le juste désir de voir conclure une union si intéressante pour tous nos sentimens, et si importante sous le rapport politique, m’a instruit de la démarche décisive qu’il a dû faire à cet égard auprès de l’Empereur d’Allemagne, de concert avec le Tsar, et de la lettre qu’il vous a écrite en conséquence.

« L’opinion que j’ai toujours eue du caractère moral de l’Empereur m’a empêché d’ajouter aucune foi aux bruits que l’on a répandus dans le monde sur les projets que l’on supposait à ce souverain, de profiter de votre situation actuelle et de celle où se trouvent vos parens, pour vous faire épouser un de ses frères. A Dieu ne plaise que j’aie jamais cru l’Empereur capable de former un projet aussi injuste ; je ne mets pas en doute que ses sentimens ne le portent à accéder sans balancer à la demande qui lui sera faite au nom du Roi et d’accord avec le Tsar.

« Mais, ma chère enfant, malgré ma juste confiance dans les loyales intentions de l’Empereur, il m’est malheureusement permis de prévoir que, dans les circonstances actuelles, nous pourrons avoir encore des obstacles à rencontrer et il est de mon devoir de vous en prévenir. Plus les bons et fidèles Français attachent de prix à voir promptement serrer les nœuds qui doivent vous unir à mon fils, plus nos ennemis redoutent cette époque, et plus ils feront d’efforts pour retarder une pareille union, s’ils ne peuvent pas réussir à l’empêcher.

« Des calculs politiques aussi faux que dangereux et le désir mal conçu d’obtenir la paix, ayant placé momentanément le Cabinet de Vienne dans une liaison apparente avec les tyrans de la France, nous devons nous attendre que le Directoire, profitant de l’espèce d’influence qu’il a sur les ministres autrichiens, emploiera tous les moyens d’intrigue, de promesses ou de menaces, pour demander, peut-être même pour exiger de l’Empereur, qu’il s’oppose à la conclusion de votre mariage, et qu’il en retarde l’époque à des temps indéfinis. On peut prévoir que la même politique qui a fait admettre à Vienne un ministre républicain pourra combattre encore dans cette circonstance les sentimens nobles et généreux qui distinguent le caractère de l’Empereur, et si mes craintes viennent à se réaliser (comme cela n’est que trop probable), je laisse à votre esprit et à votre raison à calculer tous les dangers, et tous les malheurs qui résulteraient de ce nouveau triomphe des ennemis de Dieu et de l’humanité.