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existence. Je vous embrasse mille fois du plus tendre de mon cœur. — CHARLES-PHILIPPE. »

Cette lettre qu’accompagnait « une robe des Indes » offerte par le prince à sa nièce révélait les sentimens les plus affectueux, mais aussi cette légèreté qu’on a si souvent et si, justement reprochée au Comte d’Artois. Elle avait deux torts : celui de l’inopportunité, puisqu’elle arrivait à Vienne alors que l’Empereur ne méritait plus les soupçons dont il y était l’objet, et celui bien autrement grave de fournir au Cabinet de Vienne un juste sujet d’offense si, par une de ces imprudences dont est pleine l’histoire des émigrés, elle était lue par l’entourage de Madame Royale. Celle-ci n’y vit où feignit de n’y voir qu’un témoignage de tendresse ; mais, lue par le Roi à qui La Fare l’avait transmise, elle lui déplut ; il ne le cacha pas à son frère.

« Je l’aurais mieux aimée tournée autrement et ne parlant que de tendresse et d’espérance. Ce n’est pas que les inquiétudes que vous y témoignez ne pussent être fondées à l’époque où vous écriviez. Mais, si cette lettre fût arrivée avant l’affaire finie, j’aurais craint qu’elle ne produisît un effet tout contraire à celui que vous en espériez et surtout qu’elle ne donnât de l’humeur à une cour qui en prend trop aisément, quels que soient les ménagemens dont vous avez usé en parlant d’elle. Je vous avouerai même que si Cléry avait passé par ici avant le retour de mon courrier, j’aurais fort bien pu retenir la lettre, au moins jusqu’à ce que je susse à quoi m’en tenir. Aujourd’hui, elle n’a pas les mêmes inconvéniens, quoique je ne sois nullement tranquille sur la communication qui pourra en être faite. »

Le Roi, lorsque, dans ses dissentimens avec son frère, il avait à manifester une opinion ou sa volonté, s’appliquait toujours à en envelopper l’expression de formes cordiales. Mais la cordialité de la forme n’enlevait rien à la netteté du fond ; ce qu’il tenait à dire, il le disait toujours.


II

Une autre question se posait qu’il importait de résoudre et dont la solution dépendait uniquement de l’accord du. Roi, du Comte d’Artois et de Madame Royale. Le moment était venu en effet de désigner les personnes qui formeraient la maison des futurs époux. On ne pouvait songer à faire en exil ce qu’on eût