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«… Figurez-vous que les gens de Vienne affectent de plaindre votre belle-fille et de la représenter comme une victime de son obéissance à ses parens. Je voudrais que ces gaillards-là vissent les choses de leurs propres yeux, non pour être convertis, mais pour crever de dépit et de rage : Virtutem videant, intabescantque relicta. »

Il le disait avec une légitime satisfaction. Il avait bien le droit, en effet, de tirer quelque orgueil d’un mariage qui était son œuvre, celle de sa volonté, si patiente mais si ferme, et qui, dans sa pensée, en même temps qu’il fixait auprès de lui une fille tendrement dévouée, assurait, dès ce moment, le bonheur de l’héritier de la couronne et celui du royaume, si cet héritier était un jour appelé à régner. Tout le monde à Mitau croyait et disait, — et c’était la conviction de Louis XVIII — qu’en France l’effet de cette union serait immense ; qu’elle aurait pour résultat prochain le rétablissement de la royauté. Les espoirs dont le Roi se leurrait alors ne devaient pas se réaliser. Mais ils étaient vivaces en ce temps ; l’exil n’avait pu les détruire et n’y parvint jamais. Eclairés par le sourire de l’orpheline du Temple devenue Duchesse d’Angoulême, ils s’épanouissaient dans le cœur du Roi sous les cieux lointains de la Russie avec autant de vigueur que si ce mariage si longtemps attendu eût été célébré aux Tuileries ou à Versailles.


ERNEST DAUDET.