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Frappé de la richesse de la nature, l’artiste l’admirait toujours plus à mesure qu’il la connaissait davantage. « Ses aspects sont d’une diversité « infinie, » disait-il ; on ne voit jamais ni deux jours, ni même deux heures tout à fait pareilles et depuis la création, il ne s’est pas rencontré deux feuilles d’un même arbre qui fussent absolument semblables. Les œuvres d’art doivent donc être aussi très variées, très différentes les unes des autres. » Mais en présence de la complexité des détails du paysage, il comprenait que le peintre, incapable de les rendre tous, doit choisir les plus significatifs et les subordonner à l’impression qu’il veut produire. Sous peine de fatiguer son œuvre, il faut aussi qu’il sache s’arrêter à temps. A un amateur qui aurait souhaité dans l’exécution d’un de ses tableaux un fini plus précieux, Constable répondait plaisamment : « Oui, sans doute, je pourrais pousser ma peinture beaucoup plus loin et la rendre si bonne, si bonne… qu’elle ne vaudrait plus rien du tout ! »


III

Tendre et expansif comme il l’était, Constate avait conçu une vive passion pour une jeune fille du Dorsetshire, miss Maria Bicknell, qu’il avait connue dès l’âge de treize ans, pendant les séjours qu’elle venait faire chez son grand-père, le Dr Rhuddes, recteur de Bergholt. Séduit par sa grâce et son ingénuité, il s’était peu à peu attaché à elle et de cette affection partagée une idylle était née, charmante, mais contenue par leur timidité et leur droiture mutuelles. La fortune de miss Bicknell étant supérieure à la sienne, Constable osait d’autant moins s’avancer que les deux familles n’étaient pas en très bons termes. Quand il s’était décidé à une démarche formelle, les parens de Maria avaient repoussé sa demande, alléguant son obscurité et le peu de garanties que leur offrait une carrière aussi aventureuse que la peinture. L’artiste avait cherché une diversion à sa peine en se replongeant avec plus d’ardeur que jamais dans son travail. Au milieu de la campagne, les plus simples motifs l’attiraient de préférence. Il comprenait qu’il ne pouvait leur donner d’intérêt que par l’entière sincérité avec laquelle il les interpréterait. En essayant de retracer les coins familiers des environs de Bergholt, les souvenirs de son enfance et de sa jeunesse lui revenaient en foule à l’esprit et il mettait instinctivement quelque chose de