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avec leurs larges feuilles étalées. Des vaches de couleurs variées traversent paresseusement la modeste rivière, s’attardant à la fraîcheur de l’eau ; dans les herbages, des canards barbotent et frétillent, et à droite, au premier plan, un homme à gilet rouge pousse avec une longue perche le bachot dans lequel est assise une jeune fille. Tout est gai, vivant, plaisant à regarder dans cet aimable tableau où les arbres, qui depuis si longtemps ombragent les vieilles masures, leur font à souhait un cadre rustique qui s’harmonise avec elles et dont il semble impossible de les séparer. Si de près, avec ses empâtemens très accusés, l’exécution de ce tableau paraît un peu rude, si quelques tons bitumineux restés trop visibles se mêlent à ses brillantes colorations, à distance tout se tempère et se résout en une tonalité à la fois robuste et très fraîche. En dépit de l’intensité générale des colorations, la succession des divers plans est indiquée très justement et, si nombreux que soient les détails, aucun n’est indifférent ; tous renforcent l’impression, tous ont été reproduits avec amour par le peintre, car à chacun d’eux s’attachait le souvenir vivace des bonnes heures de flâneries buissonnières que dans son enfance il avait goûtées le long du cours et des berges du Stour.

La Ferme de la Vallée, exposée en 1835 à la Royal Academy, avait été achetée par Robert Vernon, qui en 1847, léguait à la National Gallery sa belle collection. On rapporte que ce généreux amateur se trouvant peu de temps après cette acquisition dans l’atelier de Constable et le voyant absorbé par l’exécution d’un paysage auquel il travaillait, lui demandait si ce tableau, objet de soins si attentifs, était destiné à une personne particulière. « Oui, lui avait répondu l’artiste, à une personne très particulière : c’est elle pour qui j’ai travaillé toute ma vie. » Sans s’inquiéter aucunement des goûts du public, il n’avait, en effet, jamais cherché qu’à se satisfaire lui-même.

C’est aussi pour sa propre satisfaction qu’il avait peint, quelques années auparavant, le Champ de blé, qui fut offert, après sa mort, à la National Gallery par un groupe d’admirateurs de son talent. Constable avec une force singulière a su rendre dans ce tableau l’impression d’une chaude après-midi d’été, alors que les épis dorés qui ont donné son nom à ce paysage, mûrissent sous les rayons d’un soleil ardent. Partout une végétation drue couvre le sol, et les agrestes senteurs qu’exhale la terre bonne nourricière remplissent l’air attiédi. À gauche, sur le talus d’un