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tout le monde » ; car il prépare à la France « la plus brillante époque de l’histoire de tous les siècles. » C’est là un témoignage entre cent autres de l’entrain avec lequel les plus farouches révolutionnaires de la veille acclamaient celui qui, sous leurs yeux et à son profit, confisquait la Révolution.

Enfin Laclos a-t-il jamais été ambitieux ? Sa vie est-elle, comme le prétend son dernier biographe, le « roman d’un ambitieux ? » J’avoue qu’il m’est difficile d’accepter cette formule, et qu’à aucune époque de la vie de Laclos je n’aperçois cet âpre désir de parvenir ; au surplus l’ambition est une passion dont on n’a pas coutume de guérir, et l’unique rêve dont témoignent toutes les lettres de Laclos est celui d’une existence étroite, à l’abri des orages. Il vante les agrémens et les plaisirs de « l’obscure médiocrité. » Il constate que sous le nouveau gouvernement il n’est guère plus « en faveur » que sous l’ancien, et par exemple, qu’il n’a pas été inscrit sur la liste de notabilité. Il s’ensuit qu’il ne pourra être ni ministre, ni conseiller d’État, ni sénateur conservateur, ni tribun, ni membre du Corps législatif, etc. Il s’en console aisément. Tout ce qu’il souhaite, c’est de pouvoir faire vivre sa femme avec quelque bien-être et donner à ses enfans une éducation convenable. Pourquoi ne serait-il pas ministre plénipotentiaire auprès de quelque petit prince ? « Une place quelconque de retraite que personne ne vous envie est tout ce que je désire. » Tel est ce rêve d’un grand ambitieux : faire une fin de petit rentier.

Il ne put le réaliser. Bonaparte qui s’entendait à tirer parti des hommes, avait tout de suite utilisé les talens de cet artilleur et fait de lui un général. Hélas ! Laclos vieilli n’était plus d’humeur à jouir de cette brillante fortune. Il souffrait de rhumatismes, s’enrhumait sur les grandes routes, et des hémorroïdes le gênaient pour monter à cheval. Il s’obstinait, se réduisait à monter des chevaux paisibles : à la première occasion il perdait les étriers.

Il fit campagne en Italie ; mais il avait aussi peu que possible l’âme romantique. On ne trouve dans ses lettres aucune trace de l’enthousiasme qu’allaient susciter la nature, les sites, le ciel italiens chez les écrivains de la nouvelle génération. Laclos se contente de noter qu’il traverse de « fort beaux pays ; » d’ailleurs il reste parfaitement insensible à leur charme. Il se plaint en revanche que les auberges soient détestables, les villes petites et vilaines, les routes mauvaises. L’opéra bouffe l’assomme, les dames italiennes, par la facilité tout instinctive de leurs mœurs, répugnent à sa délicatesse de Français d’ancien régime. Il ne trouve en Italie de tout à fait