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théâtrale, le jeune prince Colonna s’est épris de Diane Paleotti ; il l’a revue, l’année suivante, et a senti qu’il ne lui était plus possible de vivre sans elle ; sur quoi Diane et sa mère sont allées le rejoindre à Rome, et ainsi le mariage, après deux ans de tergiversations, s’est trouvé décidé. Mais c’était un mariage si imprévu, c’était un coup de fortune si magnifique pour la jeune fille, que tout le monde, à Bologne aussi bien qu’à Rome, a voulu y voir un chef-d’œuvre de l’habileté matrimoniale de Donna Christine. Ces « noces improvisées » de sa fille ont été la plus fameuse, en même temps que la dernière, de ses aventures.


Voilà donc ce que nous apprennent, de Christine de Northumberland, les chroniqueurs bolonais, dont la plupart, soit dit en passant, semblent avoir éprouvé à son endroit une malveillance exceptionnelle, faite peut-être d’un mélange de rancune et de jalousie. Il nous reste à voir maintenant ce que nous apprennent d’elle ses sonnets, les seuls témoignages directs qu’elle nous ait laissés de ses sentimens et de ses pensées. Nous ne connaissons, en effet, aucune de ses lettres, ni aucun portrait qui puisse nous permettre de deviner quelle espèce d’âme il y avait en elle ; et ses sonnets eux-mêmes ne nous sont parvenus qu’en très petit nombre : une suite de quatre sonnets d’amour et deux sonnets pieux, probablement écrits vers la fin de sa vie. Oui ; mais il se trouve que chacun de ces six morceaux est d’une beauté singulière, plein de couleur et plein de musique, attestant un admirable instinct du rythme joint à une connaissance parfaite des grands modèles anciens ; et chacun d’eux, en outre, exprime avec tant de naturel une émotion si humaine, que nous ne pouvons pas nous défendre d’y sentir quelque chose comme une confession de l’âme passionnée qui les a produits. Je vais essayer de traduire, par exemple, les deux premiers sonnets :


I. Le front toujours armé de rigueur, l’aine toujours cruelle, sourd à mes prières et à mon désir importun, prince aimé, ne prendrez-vous jamais conseil de votre pitié ?

Il n’importe ! Je souffrirai le douloureux exil, j’endurerai votre cruauté ; et jamais mon cœur n’aura pour vous de colère, tout en s’obstinant à adorer en vous son péril.

Et je mourrai sans avoir changé, dans cet amour pour vous ; et, tous deux, nous aurons un châtiment égal à notre orgueil, vous qui fûtes infidèle, moi, hélas ! trop aimante !

Et, tous deux prosternés devant le Dieu d’amour, que de choses j’aurai à raconter de vous ! Mais non pas vous de moi, qui fus fidèle et constante !