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que la plupart des signataires de l’adresse ne sont plus de la première jeunesse : cela vient de ce que ceux qui remplissent encore des fonctions publiques sont obligés de tenir compte de l’attitude du ministère et de s’abstenir. Mais, parmi les légionnaires, tout ce qui est libre, indépendant, affranchi d’attache immédiate avec le gouvernement, couvre de milliers de signatures l’adresse dont M. le général Février a pris l’initiative. La liste s’allonge et grossit tous les jours. On y voit figurer les noms de tous les vieux sénateurs du pays, de ceux qui l’ont défendu dans l’armée, représenté à l’étranger, illustré dans les lettres, les sciences et les arts, enfin honoré de leur honneur propre qu’ils ne veulent pas laisser salir par des contacts ignominieux. Comment ne pas tenir compte d’une manifestation pareille ? Après avoir affecté d’en rire, les ministériels du premier degré s’en indignent, et M. Jaurès dénonce « les protestations grotesques et factieuses des légionnaires gémissans. » Il est loisible à M. Jaurès de les trouver grotesques, mais pourquoi factieuses ? Nous serions heureux de le savoir. Si la démarche des légionnaires est factieuse, d’où vient que le gouvernement ne l’arrête pas ? D’où vient qu’il ne frappe pas, après l’en avoir quelque peu menacé, le grand chancelier qui l’a accueillie ? Nous le mettons bien au défi de le tenter, même aujourd’hui où il n’a plus grand’chose à ménager. On ne résiste pas à un courant d’opinion comme celui qu’on a laissé se produire et qui maintenant se déchaîne. Le ministère est manifestement à l’agonie ; il mourra de la délation rentrée dont il n’a pas su se purger à temps ; il mourra pour avoir subi les ordres et partagé les responsabilités de la franc-maçonnerie dans son œuvre inavouable, qu’il n’a pourtant pas désavouée.

C’est là qu’il faut chercher le principal motif de l’élection de M. Doumer. Nous ne nions pas qu’il n’y en ait eu, et en tout cas on en a invoqué d’autres. Le lendemain même de l’élection de M. Doumer, M. Clemenceau publiait un curieux article dans lequel, après avoir reproché avec beaucoup d’aigreur au nouveau président de la Chambre d’avoir mis le gouvernement hors de combat par un « coup de poignard dans le dos, » il s’appliquait, pour son compte, à frapper à tour de bras le même gouvernement en pleine poitrine, on l’accusant d’avoir bien mérité son sort. En vérité, cela excuse un peu M. Doumer. On comprend difficilement que M. Clemenceau se soit donné la peine de sauver à deux ou trois reprises un ministère dont il pense tant de mal. A la longue, l’indigence d’idées de M. Combes lui paraît inexcusable chez un homme qui a disposé d’une majorité bonne